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Saaghar abandonne les viols et les massacres d'Amritsar. Il se déplace cinquante kilomètres plus loin, dans un nouveau pays nommé 'Pakistan', et vient habiter la ville de Lahore. Citoyen d'un nouveau pays, à jamais séparé de son maître et de son passé, il est sans ressource et se résout à chercher un emploi. Il commence à écrire des articles pour une revue de cinéma. Il y glorifie la beauté des actrices de l'industrie cinématographique récente de Lahore, Le soir, Saaghar se rend au Kailash hôtel et s'assied seul à une table, en tête à tête avec un gobelet solitaire et une bouteille d'alcool triste. Il ne pense pas, il n'a rien à se dire, il observe les buveurs attablés autour de lui dans une obscurité mystique de taverne. Chaque visage exprime le chagrin d'appartenir à un nouveau pays qui n'a pas plus à offrir que l'ancien. Saaghar vide son gobelet avec la hâte de celui pour lequel les jours sont comptés, et ferme les yeux. Pendant un instant, sur l'écran de sa mémoire les visages des actrices viennent se superposer à ceux des ivrognes qui lui tiennent passivement compagnie. Puis les visages de ces femmes viennent se dégrader, et de nouveaux visages se dévoilent, tordus, convulsés, insupportablement souffrants. Les visages des violées d'Amritsar. Il en voudrait presque à ces femmes d'avoir été déshonorées, il en veut aux hommes de les avoir touchés, palpés, malmenés et souillés. Des hommes de la même espèce sont assis autour de lui, qui boivent leur alcool en silence, le visage empesé d'un air morbide. Ces femmes se sont consumées dans les massacres et les orgies avant qu'il ait eu le temps de les connaître ou de les aimer. Elles ont disparues, et le monde dans lequel il gravite ne peut même plus se souvenir d'elles, un monde scandés par les formules politiques, les slogans compliqués, les joutes de noms et d'adverbes, les poésies militaires et oratoires, un monde fabriqué et isolé qui ne lui suffit déjà plus. Il boit, non pour écrire et avoir la force de déclamer mais pour oublier le devoir d'écrire qui l'a retenu esclave pendant des mois, depuis le début de sa carrière. Même cet esclavage ne suffit plus. Il boit alors pour oublier qu'il doit se tenir lui-même compagnie, il boit pour maintenir à distance le silence de sa chambre d'hôtel et retarder le tournoiement désagréable des agrégats de mots et de formules poétiques qui ne tarderont pas à trouver une entrée dérobée et s'installeront dans ce moment simultané de sa vie. Les phrases, les vers de ghazals s'empareront de lui, et pour les conjurer il devra noter les paroles des djinns qui viennent l'assaillir dans l'ivresse ou la réminiscence. Il écrira ces paroles, hanté par un rôle qui l'a suivi à travers la frontière, depuis Amritsar, et dont seule une femme, une vraie femme tangible de chair et de mort saura le délivrer.
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