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Kangoq est un petit village comme on n’en trouve que dans les contes. On y croise un chasseur, un notaire, un orphelin, un maire, un médecin, des ouvrières. Tous s’agglutinent, affolés ou intriguées, devant la vitrine embuée de la plumerie, contemplant leur reflet en même temps que les jupons de la narratrice qui éviscère, dépèce et brode, dans la poussière et le duvet. Là, dans les odeurs faisandées, au milieu des carcasses et des peaux, la plumeuse reçoit le désir des hommes autant que les questions des femmes : “je suis là comme ils me veulent, sans nom, sans visage que celui qu’ils m’accolent.”
“Je vois les débutantes passer à la fenêtre et je n’envie pas leur âge, je sais qu’il mène au mien.” Sauvage et souveraine, riche de ses dessous brodés insolemment portés sous trois tabliers sanguinolents, elle est la lumière qui manque à ce petit monde enténébré : “je sais tout enseigner à qui veut apprendre”, la couture, l’éviscération, le commerce, le langage des corps. “Il n’est pas difficile de déchiffrer une âme surgie devant soi, déposée dans son amas de chair, de peau, elles sont toutes pareilles, brodées de veines et d’artères.” Mais la plumeuse, depuis sa fenêtre sans rideau, peine à éclairer les ruelles noires de Kangoq, aussi sombres que l’âme errante d’une vache dépiautée, que le sang qui dégouline des arbres, que les esprits étriqués des villageois, que les dangers qui guettent les femmes seules.
Ce livre ne contient pas de majuscule et pas de point, car rien ne termine ni ne commence dans cette histoire venue d’un autre temps. Les tirets y sont légions, annonçant parfois des répliques, et parfois pas. Ils entaillent quelque peu la lecture, mais ils relient aussi, ils emmêlent, ils tissent, “dans la vaste étoffe de la fiction”, de la poésie hachée.
Voici un livre qui se vit plutôt qu’il ne se raconte. Entrez dans une ambiance, sensorielle et sensuelle. Il n’y a pas de lieu ni de temporalité, à part la saison de l’hiver. Pas de majuscules ni de point.
Il est beaucoup question de sang, d’abord dans la scène d’ouverture où Peau-de-sang est morte dans son atelier, mais aussi dans les scènes d’éviscération des oies ou d’autres animaux pendus à des crochets, pour récupérer ensuite leurs plumes ou fourrure.
Après la scène d’ouverture, on part en arrière pour savoir ce qui s’est passé. C’est la morte qui raconte. Peau-de-sang est travailleuse du sexe et vit dans une plumerie. Elle aide chacun, aussi bien les femmes que les hommes. Elle prépare les jeunes filles avant leur mariage. C’est une femme libre qui parle de désir et de sexualité sans détours. Elle montre son corps le soir venu.
D’autres voix se mêlent ensuite à la sienne, notamment un chœur de femmes du village comme dans une tragédie grecque. Les notables défilent chez elle, d’autres la regardent par sa vitrine.
Un livre qui peut décontenancer certains lecteurs, mais qui en vaut largement la peine. C’est un texte original et poétique, une voix unique, un imaginaire foisonnant. Laissez-vous bercer par cette voix sortie d’outre-trombe, comme dans une sorte de conte.
Il s’agit du sixième roman de l’autrice québécoise Audrée Wilhelmy, actuellement en tournée en France.
Je remercie Frédéric Martin et les éditions du Tripode pour cette lecture par l’intermédiaire de VLEEL.
Difficile de donner réellement un avis sur ce court roman.
Original, troublant, dérangeant voir malaisant….
C’est très bien écrit, on aimerait adorer l’héroïne, mais je ne sais pas, quelque chose me retient.
Pourtant, une jeune femme qui plume des oies, dans une ville obscure…et qui finalement, « tient » toute la communauté par sa seule connaissance de la sensualité, c’est assez intrigant.
Une femme qui se mesure aux hommes et aux notables.
Mais c’est souvent confus, on sent que bien sûr, toute cette histoire va fatalement se finir dans le sang….mais là, vraiment, ce n’est pas très clair.
Alors je ne sais pas, il faut le lire pour l’originalité, se laisse porter, ne pas trop chercher d’évidence. Et se dire que c’est un livre, comme un ovni !!
Le rapport à la féminité, la nature indomptable, les croyances ancestrales… Oui, Audrée Wilhelmy sort bel et bien un troisième roman en France aux éditions Grasset initialement publié chez Léméac en 2019. Après Les Sangs (2013) ou encore Oss (Léméac, 2011) distingué par le Prix du Gouverneur général, l’auteure québécoise laisse son lecteur indéniablement troublé par l’étrangeté et la beauté de Blanc Résine.
Daã est une enfant de la taïga, un petit bout de femme élevé dans un couvent au cœur de la forêt boréale. Son être transpire la liberté et l’attachement à son berceau-nature. Le jour où elle rencontre Laure, ce garçon un peu plus âgé qu’elle issu des mines, albinos et un peu gauche, le constat est sans appel : tout les oppose. Mais quelque chose les lie, un lien qui dépasse les mots, les actes, une communication hors norme naît de leurs différences.
Au-delà des thèmes qui reviennent régulièrement chez l’auteure, Blanc Résine est d’une originalité esthétique qui entrave notre monde réel lorsque l’on ouvre ce roman. Très loin pourtant du genre fantastique, il touche tout de même au conte réaliste, aux belles histoires qui captent l’attention par leur étrangeté et leur drôle de douceur enfantine. Des codes connus donc, pour des personnages très curieux, attachants et sincèrement eux dans l’espace-temps envoutant du Québec à l’ancienne. La vie se rêve à travers saisons et sabbats païens tandis que d’autres la subissent ou l’aiment sous le joug des hommes et des nouvelles technologies qui rendent l’existence insipide.
Audrée Wilhelmy esquisse la genèse d’une décadence dans laquelle se créé un microcosme où la rencontre des deux amants s’opère. Ils illustrent parfaitement la poétique de l’opposition, déconcertante et séductrice. Laure prend des airs de Julien Sorel dans son besoin absolu de réussite, un self-made-man aux aspirations professionnelles qui ne coïncide pas toujours avec la teneur de ses émotions envers le personnage de Daã. Mais n’est-ce pas cela qui rend cette association de protagonistes si belle ?
Blanc Résine, c’est aussi l’engagement – certes léger mais difficilement imperceptible, en faveur de l’autonomie féminine. Daã est l’image même de la femme forte, indépendante, « sorcière » pour son temps et terriblement vraie par sa sensibilité presque animale. La communication que les deux personnages entretiennent tout au long du roman est faite de respect tout en préservant cette beauté incompréhensible du secret : ainsi, on perçoit l’autre sans jamais le comprendre totalement, on aime sans jamais l’éprouver réellement, on voit sans voir, mais on accepte. Alors oui, c’est peut-être cette complexité qui donne à ce roman toute son étrangeté mais il reste définitivement un ovni de la rentrée, sublime et surprenant.
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