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Dans un paysage de roches, de glace et d'eau, au sommet d'un phare longeant une plage désertique, Mie attend que son oncle vienne l'initier aux mystères du corps. Mais Osip l'ignore ; il préfère passer ses journées à scruter les bateaux qui arrivent du large et à observer la mère de Mie, cette étrangère que son frère a ramenée de la forêt et qui le fascine. Sauvage, énigmatique, elle vit à l'écart de la famille. Son chant seul perce parfois le roulis des vagues. C'est elle qu'Osip désire. Alors, en attendant que son oncle accepte de la rejoindre, Mie imagine : elle emprunte par la pensée le corps des bêtes qui l'entourent, là un ours, ici une grue, pour comprendre de quelle lignée elle est issue. Seule dans sa chambre, elle tâche de percer l'énigme de sa chair. Osip daignera-t-il venir la retrouver ?
Après un premier roman très remarqué, Les Sangs (Grasset, Prix Sade 2015), Audrée Wilhelmy nous plonge dans un univers fantasmagorique, à la lisière de la légende et du mythe. D'une langue puissante, envoûtante, elle explore la part animale que chacun porte en soi.
C’est un regard braqué sur une famille ; les Borya. Dégénérescence des engeances. Une grand-mère (La Vieille). Noé (la fille sans bavardage). Osip (l’oncle à l’œil hagard des corps féminins), et Mie (la singulière, l’enfant se faufilant sous le derme des bêtes). Une fresque familiale, un puzzle qui se compose, se décompose. C’est l’orchestration de leurs vies sur un caillou, une terre désertique mais bordée d’eau, de cette terrifiante qu’ils n’abordent pas. L’eau est leur limite, la signalétique d’une fin de monde. Où sont-ils ? Quelle époque ? L’auteure dissémine des indices, trace un chemin pour mieux le désaxer, proposer un autre itinéraire. Des noms jalonnent la lecture : Triglav, Nan Mei. Côtes québécoises ou bordure d’une ile égaré aux contrées asiatiques ? Qu’importe la localisation. Seule compte l’hostilité des lieux.
Le corps. Un mot qui revient, devient relent. Il est le sujet principal, le personnage central de ce livre qui oscille entre conte et fresque d’apocalypse. Le corps, c’est avant tout Mie. La petite est en lisière de l’adolescence, en proie aux mutations de sa chrysalide enfantine. La crainte du changement se caractérise par sa volonté à fuir dans le corps des bêtes. Observer les autres plutôt que subir sa propre chair. Elle devient tantôt héron, parfois ours. L’œil se fait avide de ce qu’elle ignore encore, de ce qu’elle souhaite partager avec l’oncle ; le sexe des humains.
Corps à prendre.
Corps à dépiauter.
Corps charpie.
Corps en découverte.
Le corps s’entremêle à la sexualité, aborde le féminin, la violence de l’autre. Le corps est réceptacle de tous les maux – mots. Car l’auteure déploie son vocabulaire tranchant, sans tabou. Serpe aiguisée qu’elle manie avec élégance, ne conçoit pas le dégout, peut-être l’étonnement, la curiosité, ou l’interrogation mais jamais l’ignoble crasse ne s’injecte sous sa plume.
Un roman où l’histoire est à trouver au delà des conventions.
S’imprégner de l’atmosphère et en ressortir poisseux mais avide d’une prochaine aventure noire.
(chronique parue sur le blog : https://hubris-libris.blogspot.fr/2018/04/le-corps-des-betes-audree-wilhelmy.html )
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