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«C'étaient des bonnes à tout faire, les milliers de Bretonnes qui débarquaient dans les gares de Paris. C'étaient aussi les colporteurs des petits marchés de campagne, les vendeurs de fils et d'aiguilles, et tous les autres. Ceux - des millions - qui n'avaient rien qu'une identité de mort. Le seul souci de ces gens c'était leur survie : ne pas mourir de faim, essayer chaque soir de dormir sous un toit. C'était aussi de temps en temps, au hasard d'une rencontre, PARLER. Parler du malheur qui leur était commun et de leurs difficultés personnelles. Cela se trouvait arriver dans les squares, l'été, dans les trains, dans ces cafés des places de marché pleins de monde où il y a toujours de la musique. Sans quoi, disaient ces gens, ils n'auraient pas pu survivre à leur solitude.» Marguerite Duras.
Une jeune femme de 21 ans, domestique depuis ses 16 ans chez un couple fortuné, s'occupe aussi bien de la maison, de l'enfant, de la belle-mère âgée et gâteuse, que de l'ennui de la maîtresse de maison la nuit tombante.Dans le parc (le square), assise sur un banc, elle surveille l'enfant de la famille qui joue plus loin. Un homme sans âge, mais plus âgé qu'elle, s'assoie à côté et engage la conversation pour tuer le temps probablement. Il semble blasé de tout et prend la vie comme elle vient. On comprend qu'il vient d'une famille aisée mais qu'il est le vilain petit canard qui a échoué. C'est un déclassé social, parcourant le pays pour vendre des petits cotons (?) et ce, en vivant au jour le jour. Il a vécu une parenthèse merveilleuse à deux pendant 7 jours dans un pays étranger puis tout s'est arrêté et il s'est retrouvé seul.
Ce sont deux solitudes qui prennent la vie d'une façon opposée : la jeune fille veut être parmi les gens aisés, veut être heureuse (par l'argent et un homme qui a de l'argent) et, en tant que femme, cela doit passer par le mariage. Elle est déterminée et pourtant l'homme, comme le lecteur, à l'impression qu'elle fait du sur place sauf le samedi soir où elle part à la chasse au mari au bal dans une guinguette où se sont essentiellement des militaires qui n'ont rien à faire du mariage. Lui ne veut plus rien d'autre que de pouvoir parler de temps en temps à quelqu'un sans se soucier du lendemain.
C'est une réflexion, un peu à bâtons rompus et parfois alambiquée entre les négations / doubles négations / affirmation sur la façon de voir la vie, sur ce qu'est le bonheur et l'illusion et la certitude de l'avoir (mais de ne plus savoir quoi en faire par ennui), la terrible solitude intérieure d'où la nécessité de parler encore et toujours pour continuer de se sentir un peu vivant :
- "C"est quand même singulier, Mademoiselle, d'être en mesure de s'adoucir la vie et de le refuser" (p.43)
- "Je n'ai jamais été choisie par personne, sauf en raison de mes capacités les plus impersonnelles, et afin d'être aussi inexistante que possible, alors il faut que je sois choisie par quelqu'un une fois, même une seule. Sans cela, j'existerai si peu, même à mes propres yeux, que je ne saurai même pas choisir à mon tour. C'est pourquoi je m'acharne tant sur le mariage" (p. 72)
- "Au fond, les gens supportent mal le bonheur. Ils le désirent bien sûr, mais dès qu'ils l'ont, ils s'y rongent à rêver..." (p.96)
- "Peu importe, Monsieur. Encore une fois, je veux connaître l'amertume du bonheur" (p.98)
La porte reste ouverte sur la fin : l'homme ira-t-il au bal du samedi soir retrouver la jeune fille qui lui tend la perche ? On espère pour eux deux que non car lui serait balayé par l'énergie négative de la jeune fille et elle, déçue par un homme qui fut mais qui n'est plus rien.
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