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Depuis un siècle, la Cordillère est la source de toutes les vocations cyclistes qui se sont envolées ou effondrées entre Bogota et Medellin. À Zipaquira, cité proche de la capitale, c'est entre les eucalyptus du Parque de la Sal, à 2800 m, qu'un gamin de 8 ans, prénommé Egan, s'est découvert à VTT, une vocation qui l'a propulsé sur la plus haute marche du podium du Tour de France 2019. Il se confie longuement dans ce livre.
Mais le jeune Egan Bernal est aussi l'héritier d'une dynastie de grimpeurs fameux aux destins extraordinaires. Cochise Rodriguez, recordman de l'Heure et fidèle équipier de Felice Gimondi, Lucho Herrera, meilleur grimpeur du monde des années 80, enlevé par les FARC après sa carrière, Fabio Parra, l'Homme de fer, Patrocinio Jimenez, mineur au fond d'un puits de charbon à l'âge de 10 ans, Martin Ramirez, bourreau de Bernard Hinault, en 1984, dans un Dauphiné d'apocalypse, Alfonso Florez, vainqueur du Tour de l'Avenir 1980, assassiné par des sicarios, Cacaito Rodriguez qui se levait à 4h du matin pour aller s'entraîner, Mauricio Soler, maillot à pois du Tour 2007, miraculé et handicapé pour le restant de ses jours après une chute d'une gravité extrême, Nairo Quintana dont les tests d'effort à 18 ans étaient supérieurs à ceux d'un autre colombien, âgé de 30 ans, Santiago Botero, champion du monde contre la montre 2002. Même les frères Pablo et Roberto Escobar ont tenté un jour leur chance dans le peloton. On ne peut les citer tous mais Rigoberto Uran, Superman Lopez, Fernando Gaviria, ont grandi eux aussi sur les pentes de la Cordillère, territoire Comanche pour les Européens, Bernard Hinault, Laurent Fignon, Luc Leblanc, Charly Mottet, Pascal Simon et récemment Julian Alaphilippe, venus la défier.
Ce sont ces moments de vertige, au bord du gouffre que l'auteur raconte sous forme de petites nouvelles, à travers des personnages, magiques, un peu borderline, humbles ou phénomènes, rencontrés au fil de ses voyages. Tout cela dans le décor grandiose de sa Majesté la Cordillère où s'entrecroisent des hommes épris de religion, des narcos, des FARC, tous réunis par l'amour du cyclisme.
L'auteur : Guy Roger, ancien journaliste de L'Équipe, est spécialisé dans le cyclisme. Il a voyagé de nombreuses fois en Colombie.
Ce n’est pas un livre de sport, mais bien un livre d’Histoire que Guy Roger a écrit là.
L’Histoire d’un pays, la Colombie. Où vient s’écarteler la Cordillère des Andes.
Il nous raconte ces Dieux, pour certains encore vivants, avec qui il taille la bavette et le bout de gras dans son pèlerinage andin.
La Colombie, ce pays qui nous offre des grimpeurs insatiables, infatigables.
Tout est dit dans ce dicton colombien : “il suffit de soulever une pierre pour trouver un cycliste”. Et là-bas, les pierres roulent !
Comme un symbole, dans le Tour de France 2019, Egan Bernal revêt le maillot jaune. Cette couleur que l’on retrouve sur le drapeau colombien. La couleur du soleil, de l’harmonie et de la justice. Enfin un Colombien se pâme de la toison d’or ! Il était temps !
Qui se souvient ici, sur nos terres continentales, de Cochise Rodriguez, d’Alfonso Florez, de Fabio Parra, de Soler le malchanceux ?
Il y a peut-être Lucho Herrera qui traîne encore au fin fond de nos mémoires. Nous étions jeunes et beaux dans les montées de l’Alpe-d’huez et de Morzine. La caravane passe et les scarabées fredonnent.
Pour paraphraser Forero : “en bas dans la vallée on salue les généraux, en haut des montagnes les escarabajo”.
Pas un endroit dans ce pays où ne traîne, sur la place du village, la statue d’un régional de l’étape. Héraut de pierre et de béton qui transmet le message aux touristes de passage : “ici est né Quintana, ici est né Herrera, ici est né Bernal… ici est mort Alfonso Florez Ortiz !”. À chacun ses monuments et ses croyances.
On devine dans cet ouvrage que la genèse d’un destin prend racine dans le terreau de la pauvreté et de la misère sociale. Car on ne dompte pas les cols de la Cordillère avec une cuillère d’argent dans la bouche. Il faut avoir souffert bien avant. Il faut avoir connu bambin, le goût du sang, de la sueur et des larmes.
Lire "Bernal et les fils de la cordillère", c’est sentir la torpeur estivale de Medellín et au loin, entendre chanter Carlos Gardel. C’est apprendre que les frères Escobar ont vu passer Ramón Hoyos dans un virage du Alto de Minas.
C'est découvrir des cols dans les montagnes ou plutôt des chemins de croix : “Paramo de Letras”, Altao de la Linea”, Escobero”, “Alto de Minas”, “Santa Elena”, “San Miguel”… que juste à chuchoter du bout des lèvres on a les cuisses qui tirent et l’oxygène qui vient à manquer.
Et si le Tour de Colombie était plus dur que le Tour de France ? Nombreux de nos héros s’y sont essayés (Bernard Hinault, Laurent Fignon, Luc Leblanc, Julian Alaphilippe...). Nombreux sont venus, ont vu et ont été battus !
Certes Bernal fait la couverture. Parce qu'il est et sera à jamais le premier. Mais Guy Rocher nous raconte les autres. Les précurseurs, les pionniers, les malheureux, les miraculés...
Il faudrait presque un livre pour chacun. Nous voici larme à l'œil à lire la vie de Mauricio Soler. Nous voici kidnappé par le récit de Lucho Herrera. Embarqué de nuit par quelques guérilleros des FARC. Le voici l'arme à gauche, le conquérant Alfonso Florez Ortiz. Tué par 4 motards par un mari éconduit.
Bienvenidos a Colombia !
“Bernal et les fils de la cordillère”
Guy Roger
Éditions Solar
Playlist pour la lecture : Intégral Deezer de Garlos Gardel
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