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Fresque d’une famille portugaise sur 3 générations de 1910 aux années 75. Belles descriptions du Portugal, surtout de Lisbonne, Porto et le Douro, de la vie politique et sociale évoquées à ces diverses époques, de l’avènement de la République à la révolte des Œillets en 1974, en passant par Vienne, Buenos Aires, la guerre coloniale en Angola, le printemps marceliste et le régime du dictateur Salazar. Leurs victimes et leurs héritiers.
Les chapitres font penser à de courtes nouvelles qui comme les morceaux d’un puzzle vont s’assembler au fil du roman. Pourtant à la fin du récit, on peut se poser la question à savoir s’il ne manque pas une pièce… Comme les doigts d’un pianiste qui aurait livré tout un concert sans vouloir nous en donner la dernière note et nous abandonnerait, pâmés mais pantois, à regarder ces mains suspendues au-dessus d’un clavier et qui soudain ne veulent plus jouer et nous laissent deviner cette dernière note en nous réduisant à des conjectures, perdus sur les pistes de notre imaginaire.
Duarte, le petit-fils mélomane averti et pianiste surdoué, va tendre le fil conducteur de cette histoire car il semble être mentalement dérangé et non seulement va déséquilibrer mais aussi égarer le lecteur dans une ambiance énigmatique parsemée de morts insolites qui révéleront les mystères du passé et se faire rencontrer la petite et la grande histoire dans un enchevêtrement de pistes à suivre pêle-mêle. Le tout est de ne pas perdre le fil… Toujours est-il que « notre petit Duarte », soudainement, ne veut plus jouer de piano et n’en jouera plus au grand dam des millions de spectateurs et admirateurs qu’il aurait été en capacité de générer sur la planète.
João Ricardo Pedro raconte l’histoire de son pays, de son sang, de sa chair, de son esprit mais avec un art du mi- mot et du non-dit mais pourtant cela va résonner comme une fosse d’orchestre étourdissante. Il dépeint l'âme portugaise profonde en clairs obscurs sur fond de musique classique, une tonitruante mesure sur la vie et l’œuvre des grands compositeurs, une accumulation de partitions et un grand coup de pinceau sur la peinture de Bruegel observée à la loupe. « Cela arrive, très souvent, qu’une profonde empathie se crée entre nous et une œuvre d’art précise, on peut ainsi se découvrir en elle ou dans une partie d’elle. » Se réfugier dans l’art, s’enfouir, s’y enfuir…
Quelques petits coups de vino verde et de jeropiga accompagnés de pezinhos de coentrada, un caldo verde et des farinheiras et comme dessert prendrez-vous des pastéis de nata ou une bola-de-berlim ou des queijadinhas de Sintra, pour assister au grand tour du Portugal à vélo ou encore pour se réunir devant un match de foot avec le Club de Porto, ou se rappeler l’air du célèbre fado A Casa da Mariquinhas …
Ce livre se digère lentement…
J’ai été happée par la profondeur de ce roman qui regorge de connaissances, de découvertes et de culture tout en distillant un inconfort qui peut mettre mal à l’aise mais aussi entrecoupé de touches d’humour qui m’ont fait éclater de rire entre deux froncements de sourcils…
Un talent d’écrivain certain. Un style très particulier. Un texte déroutant qui m’a laissée assez perplexe. Je ne pense pas avoir un goût prononcé pour ce livre mais plutôt une reconnaissance admirative pour un travail de construction à l’ossature apparemment inquiétante qui pourtant tient en un parfait équilibre et pour sa richesse littéraire, rarement rencontrés.
J’ai beaucoup écouté les sonates de Beethoven durant la lecture de ce livre au rythme très similaire. Un style comparable à une sonate, une sonate de Beethoven en fait. Des moments lents, d’autres rapides voire brefs comme les séries d’énumération de choses et des reprises de phrases en répétitions pour retrouver une lenteur qui après des mots, des phrases qui se courent après en cascades, va chavirer à nouveau à pas lourds sur un clavier de piano à la sourdine écrasée pour mieux surgir dans un contraste comme un hurlement qui sort du silence, de la nuit à la pleine lumière, et qui saisit l’auditoire. Et Joao Ricardo Pedro est assurément un virtuose d’une maîtrise vertigineuse !
« Au plus profond de mon cœur, je porte ma peine mais dois la cacher aux autres » Lied de Schumann tiré des vers de Camões. (Luís Vaz de Camões, dit « le Camoëns », est un poète portugais, né vers 1525, mort le 10 juin 1580 à Lisbonne.) Ses vers vont parsemer le roman.
« La main de Joseph Castorp » a reçu le prix LeYa 2011, l’un des plus prestigieux du Portugal.
Erik Fitoussi recommande ce livre au micro d'Augustin Trapenard, dans Le Carnet du libraire, sur France Culture, en partenariat avec Lechoixdeslibraires.com
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