Pas tout calme, ce mois de mars, dans la presse livres ! Par-delà les avis dissonants que suscitent certaines parutions - c’est après tout bien naturel et même le signe d’une belle santé -, on sent des points de tension et même de sévère friction. Ca s’asticouille et ça s’invective sec par journaux interposés… Ca met aussi les choses au point, et ça défriche, ce faisant, de jolies choses qui nous réconcilient avec tout. Prêts pour une revue de presse tonique, musclée et… sensible ? On y va !
« Tout écrivain mérite salaire ». Les salons et festivals contre le CNL
A priori, cela paraît assez éloigné de nous et de nos préoccupations quotidiennes. Si l’on y réfléchit bien, le sort des écrivains, la manière dont ils vivent, les moyens dont ils disposent, ont pourtant un impact direct sur nos vies. Sans écrivains, sans histoires qui nous ouvrent à d’autres mondes, sans récits, essais, enquêtes qui nous font comprendre celui dans lequel on vit, que serions-nous ? Je vous le demande un peu, hmmm ?
Dans son « édito » du mois de mars, Pierre Assouline, conseiller à la rédaction du « Magazine littéraire », revient sur la décision - controversée - qu’a prise le Centre National du Livre (CNL) d’obliger les festivals et salons qu’il soutient à verser une rémunération aux écrivains qui y participent (de 150 à 400 euros HT, selon la prestation).
Chez les organisateurs de manifestations littéraires, cette mesure a déclenché un véritable tollé. « Conséquence annoncée sous forme de menace, écrit Pierre Assouline : ils (…) inviteront moins (d’écrivains) et, horresca referens, privilégieront les best-sellers ; les petites villes auront moins les moyens d’assumer cette nouvelle charge que les grandes ; des salons et festivals dont l’accès était libre se trouveront obligés de les faire payer », etc.
Pierre Assouline le rappelle : à l’étranger, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne notamment, la rémunération des auteurs participant à un salon ou un festival est une règle communément acceptée - quoique pas toujours respectée. Faut-il, avec lui, se réjouir de cette nouvelle mesure ? Sur le papier, rien à redire, tout cela semble on ne peut plus normal et justifié. Quand on connaît, en même temps, les difficultés auxquelles les organisateurs de manifestations littéraires sont confrontés - en témoigne encore, récemment, l’annulation du festival « Les mots Doubs » qui, heureuse nouvelle !, semble avoir trouvé une façon de se relancer - on ne peut s’empêcher de s’interroger. Au final, est-ce que ce ne sont pas les écrivains, et nous-mêmes, qui allons pâtir de tout ça ? La question est posée…
Edouard Louis : « Transfuge » en guerre contre « l’extrême-droite du livre », alias « Le Magazine littéraire » et « Causeur »
Branle-bas de combat ! Le débat du moment, celui qui fait monter la moutarde au nez de beaucoup de monde, y compris (a fortiori ?) des critiques les plus policés, c’est, vous le savez, Edouard Louis ! En janvier, déjà, souvenez-vous, on vous avait parlé de l’article - au karcher - que Vincent Landel avait publié dans « Le magazine littéraire ». Ce papier, visiblement, a remué « Transfuge ». Et pas qu’un peu. Dans son « édito », le directeur de la rédaction du magazine, Vincent Jaury, d’entrée, pointe du doigt « la réception par l’extrême-droite du livre d’Edouard Louis ». L’extrême-droite du livre ? Ma, mais de qui donc veut-il parler ? De Vincent Landel, et de son article dans « Le magazine littéraire », pour commencer. La « phrase glaçante » du journaliste à propos du livre de Louis « Chaque page de ce brouillon donnerait un motif de le brûler » ne passe pas. « Sachez-le, lecteurs, écrit Vincent Jaury, au « Magazine littéraire », on peut dorénavant appeler à brûler les livres, comme en 33 ». Vincent Landel, au reste, précise-t-il, « a signé des articles dans « Valeurs actuelles », défendant notamment Richard Millet ».
Mais il n’y pas que Vincent Landel… il y a aussi… Renaud Camus, « membre du Siel (parti lié au Front national), qui signe dans « Causeur » et a notamment écrit dans le dernier numéro ce texte fantasmagorique sur « Histoire de la violence », qui serait ni plus ni moins une apologie du « grand remplacement ». On croit rêver, conclut Vincent Jaury, du peu de cas que cet individu fait de la littérature, la réduisant - ce que ce livre n’est pas - à une arme idéologique ». C’est que ça rigole plus !
Edouard Louis, victime de ses attaques contre Marcel Gauchet…
Histoire d’être sûr que le message est bien passé, dans les pages intérieures de « Transfuge », Oriane Jeancourt Galignani remet le couvert, et va plus loin : Edouard Louis, selon elle, est une victime. « Ne jouons pas les candides, se cache derrière tout cela un retour attendu de balancier, écrit-elle : Louis attaque Marcel Gauchet l’année dernière, les intellectuels conservateurs n’ont pas l’habitude de tendre l’autre joue, ils lui rendent une bonne droite. On remarque tout de même qu’un livre tout aussi politique que celui de Louis, Soumission, n’a pas eu le même accueil. Houellebecq a essuyé moins de critiques négatives qu’Edouard Louis ». A voir. A voir aussi, la comparaison que fait la journaliste entre une phrase extraite d’ « Histoire de la violence », dont elle reconnaît elle-même la « lourdeur », et une phrase, un poil alambiquée, certes, mais parfaite, tirée du Bruit et la fureur de William Faulkner. Sans porter de jugement, était-ce vraiment rendre service à Edouard Louis que de le comparer à si juste et si grand ?
Edouard Louis : le procès
Vous croyez en avoir fini avec Edouard Louis ? Que faites-vous du procès ?! Est-ce en raison de ses délais de bouclage ou par « diplomatie » ? Dans son numéro d’avril, disponible dès la mi-mars, « Le Magazine littéraire » n’évoque pas les poursuites engagées à l’encontre de l’écrivain par celui dont il dit, dans son livre, avoir été la victime. Comme il est impossible de ne pas traiter le sujet, on s’en remettra donc à « L’Obs » qui, scoop ?, nous révèle, « en exclusivité », « pourquoi Edouard Louis se trouve pris dans une tourmente judiciaire ». Lecture faite de l’article, force est de le constater, on est bien en peine de définir les raisons pour lesquelles l’écrivain est assigné en référé pour « atteinte à la présomption d’innocence » et « atteinte à la vie privée ». Le papier de David Le Bailly met néanmoins le doigt sur un problème singulier. Alors que Reda B. affirme ne pas avoir violé l’écrivain comme celui-ci l’écrit dans son livre, la justice considère « la parution du livre comme une preuve aggravante justifiant le placement en détention ». Sans vouloir prendre le moindre parti, une personne de la vie réelle emprisonnée pour un délit perpétré dans un livre, c’est assez curieux, tout de même…
« Paris (n’)est (pas) une fête » : le malentendu post-13 novembre
Au chapitre des choses curieuses, le succès de Paris est une fête d’Ernest Hemingway au lendemain des attentats du 13 novembre se pose un peu là. « L’explosion des ventes (…) après les attentats (…) repose sur un malentendu, souligne « Books ». Si tout le monde s’est précipité sur ces Mémoires, c’est en raison de son titre français qui, en vérité, est fort éloigné du titre original, « A Movable Feast », « une « fête mobile », comme ces fêtes religieuses qui zigzaguent à travers le calendrier, explique le magazine. Paris est tout sauf une « fête ». Plutôt un lieu - une période - de travail intense, de vraie-fausse misère, de frustrations, de découragement, de dépression même (…) ». Pas de quoi y puiser de nouvelles forces, donc. Etrange succès…
La réponse de Philippe Sollers à Laurent Binet
Longuement interviewé dans « Transfuge » à l’occasion de la sortie de son « magnifique nouveau roman, Mouvement, autour d’Hegel » (Gallimard), Philippe Sollers pouvait difficilement échapper à une question portant sur La septième fonction du langage de Laurent Binet (Grasset), dans lequel il est sévèrement égratigné… « Vous avez aimé mon émasculation ?, lance-t-il à la journaliste qui l’interroge. Ca a plu à tout le monde. (…) J’adore le mot d’Hemingway : « Quand ça va très mal, la littérature est en première ligne ». Pourquoi pas. C’est la lutte à mort. (…) La poésie, c’est la guerre, comme disait Mandelstam. Sauf qu’une émasculation, tout de même, avec la pauvre Julia Kristeva qui porte mes couilles, c’est très, très raciste, au bord du fascisme, et ça personne n’a voulu le voir, sauf elle… » Et vlan ! Un partout, la balle au centre ?
Patrick Lapeyre : soporifique ou magnifique ?
Qui faut-il croire ? « Le magazine littéraire » ou « Le matricule des anges » ? Si l’on en croit ce dernier, « La splendeur dans l’herbe » de Patrick Lapeyre (POL) serait « soporifique ». Le livre, résume le magazine, raconte la rencontre d’Homer et de Sybil. « La femme d’Homer l’a quitté pour partir vivre sous le soleil de Nicosie avec le mari de Sybil. On comprend assez bien pourquoi et on les envie, nous qui restons à suivre la non-vie des deux trompés. (…) Il faut s’accrocher sérieusement au livre pour ne pas sombrer dans un sommeil profond, comme le font d’ailleurs souvent nos protagonistes ». Et chlaa ! Ca, c’est fait.
« Le magazine littéraire » a-t-il lu le même livre ? Il ne le résume pas, en tout cas, de la même façon. Parallèlement aux rencontres d’Homer et Sybil, on suit en effet, nous dit-il, l’histoire d’Ana et Arno, « les parents d’Homer dont l’apparition en alternance apporte au récit et au lecteur la distance d’une génération, l’ouverture d’une hypothèse psychanalytique (…) et le portrait magnifique d’une mère étrange et attachante (…) ». Le journal le reconnaît : Patrick Lapeyre prend son temps. « Cette lenteur, précise « Le magazine littéraire », n’est pas une paresse mais une exigence, (…) et le lecteur trouve dans cette patience le régal et la satisfaction d’un bonbon qui ne fond pas trop vite ». Entre s’endormir et fondre de plaisir, à vous de choisir !
Elena Ferrante, mystérieuse envoûtante
Il est un livre qui, lui, fait l’unanimité, c’est Le nouveau nom d’Elena Ferrante (Gallimard). « Qui mieux que la mystérieuse Elena Ferrante, sait scruter les abîmes de l’amitié féminine ? », titre « Books ». Pour une raison que l’on ignore, l’auteur a choisi d’écrire masquée, à l’ombre d’un nom de plume, explique le magazine. On ne connaît pas davantage son visage. Au printemps dernier, elle a accepté de recevoir en chair et en os la « Paris Review », mais rien n’a filtré de son identité. Son livre raconte « l’amitié fusionnelle » de deux femmes « avant que leurs destins ne divergent ». C’est « une des plus belles réussites de la littérature contemporaine à en croire la presse internationale, note « Books ». (…) Le « génie de Ferrante », selon Claire Messud, du « Financial Times », consiste à mettre à jour cette « désagréable vérité : les amitiés féminines sont autant faites de haine que d’amour » ». Dit comme ça, difficile de résister, hmm ? Sur ce, bonnes lectures, profitez bien, les amoureux des livres !
© Barbara Lambert
Retrouvez notre "Conseil de Libraire spécial Rentrée Littéraire janvier 2016" qui parle également du roman Histoire de la violence de Edouard Louis (Seuil)