La vie d’une œuvre et de son auteur dessine souvent une courbe de Laffer, qui combine la capacité qu’a l’écrivain à raconter le réel avec le coefficient d’enthousiasme de ses critiques. Sérotonine entraine Michel Houellebecq dans la phase descendante de son succès médiatique ; la pente semble sacrément savonneuse.
Sérotonine parle moins du déclin de la France, que de celui du mâle blanc hétérosexuel de plus de 45 ans. Hélas, tout cela, chez lui, n’a rien de neuf. Sauf peut être qu’on y trouve une lumière plus vive que dans ses précédents textes, un humour moins plombé, au grand dam des désespérés chroniques qui souhaitent être confortés dans leur sinistrose. Encore des déçus. Quelques raisons pour… s’emparer du livre et se faire son idée. Et en parler comme de n’importe quel bon roman de cette rentrée, en essayant de ne pas entrer dans le piège des attentes et des frustrations d’une œuvre attendue comme un phénomène, ce qu’elle n’est pas.
Ça commence par un petit cachet rond…
Houellebecq sort désormais en janvier comme les horoscopes, mais inutile de chercher à déchiffrer dans Sérotonine le futur de notre société-à-la-dérive, comme on a pu le faire souvent depuis Les particules élémentaires, Plateforme, La possibilité d'une île ou Soumission. Si Sérotonine peut se lire comme le requiem du mâle blanc hétérosexuel occidental de plus de 45 ans, c’est un refrain que l’Europe chante en canon avec les Etats-Unis depuis l’affaire Weinstein. Ce n’est donc pas le fruit d’une analyse profonde, mais une observation sociétale. Le narrateur du roman, Florent-Claude, hétérosexuel et CSP+ de 46 ans, est dépressif et se voit prescrire un nouvel antidépresseur épatant qui, hélas, plonge sa libido en coma profond. La présence de sexe dans le livre n’est là que pour titiller le bourgeois, le vrai sujet c’est l’amour. Enfin ! Le petit Michel a grandi et s’attaque frontalement à ce qui a toujours hanté ses livres, l’Amour.
Si les plus enthousiastes prêtent à Houellebecq un regard pertinent voire visionnaire sur le monde contemporain, on serait bien en peine de l’apprécier dans Sérotonine. Le roman décrit avec beaucoup de justesse, ainsi que José Bové a pu le confirmer, la détresse d’une France agricole qui cède la place à un monde libéral, serviciel ; la trajectoire du héros de Houellebecq est un marqueur de cet effondrement. Mais les révoltes dont il est question dans le livre n’ont pas attendu les Gilets Jaunes pour traumatiser les préfectures. En revanche, il semblerait que la longue et lancinante dépression de l’auteur, qu’il trimballe de roman en roman depuis la fin du XXe siècle, connaisse enfin un aboutissement.
Lecture pour tous
Largement doté par l’héritage paternel, son héros décide de renoncer aux contraintes et attaches d’une vie socialement normée. Il quitte une relation dénuée d’émotion, un appartement parisien sans charme, pour flotter d’hôtels en mobil home et locations diverses en Normandie. Ses défis consistent à tenter de se laver, regarder la télévision sans s’endormir trop vite, assister à la déréliction de ce qui l’entoure en parfaite empathie. Ancien consultant en agro alimentaire pour le ministère, il aura ainsi l’occasion de constater les ravages d’une politique qu’il a contribué à mettre en œuvre, et qui pousse les agriculteurs à manifester ou se suicider.
Les pérégrinations de Florent-Claude, en « 4x4 diesel », comme le précise régulièrement l’auteur toujours aussi taquin, l’entrainent dans la rétrospective de ses amours passées. Effeuillant la marguerite, on entendra parler de Kate, rencontrera Claire, pour arriver enfin au grand regret de sa vie, Camille. Le texte tourne longtemps autour de cette femme, tout comme le personnage qui sait bien qu’on ne fabrique pas un avenir avec son passé. Voilà. Il ne se passe finalement rien de plus dans ce livre : Michel Houellebecq n’est pas un auteur de polars, même si quelques aventures secondaires traversent rapidement le livre.
Sur la forme, le style est celui de Houellebecq, classique, plat, dirons les acerbes. A peine affolé de temps en temps par des phrases plus longues, des points virgules où s’accrochent des tournures pince sans rire, vulgaires ou subtiles. Une punchline provocante ou malicieuse revigore chaque fin de chapitre. C’est facile à lire, Houellebecq, tout le monde peut le lire, de Saint Germain des Prés aux classes de lycées de n’importe quelle bourgade de France.
Des nouvelles de Houellebecq
Dans une sincérité étrange qui fait parfois sortir la narration du roman pour épouser les contours d’une sorte de confession personnelle, l’auteur arrive à la conclusion que « les gens fabriquent eux-mêmes le mécanisme de leur malheur », et compare l’amour « à une sorte de rêve à deux (…) qui permet en tout cas de transformer notre existence terrestre en un moment supportable - qui en est même, à vrai dire, le seul moyen ». Dans un roman Harlequin, ce genre de phrase fait ploc. Chez Houellebecq, la dérision mâtinée de profonde désespérance, l’humour complice qui s‘échange entre l’auteur et son lecteur permettent d’affronter le cliché avec plus de sérénité et d’entrevoir tout ce qu’il y a de vivant dans de telles phrases. On est finalement content que le cynisme qui fait souvent posture soit passablement maltraité dans cet opus. Houellebecq semble aller mieux. Mais il est d’abord un poète et sa manière de boucler ce roman sur l’amour avec la question de la transcendance fait imaginer qu’il a peut être réglé ses comptes avec le roman et ses contemporains.
Alors, on lit ou pas ?
Sérotonine n’est pas un chef d’œuvre – si toutefois l’époque qui voit naître un livre peut en décider -, ce n’est sans doute pas un grand livre, mais c’est un bon livre, drôle, un peu cabot mais aussi humble et pudique, finalement bien plus vivant que tout ce que Houellebecq a pu écrire jusqu’ici. Pas si simple de faire jaillir la lumière de la désespérance, l’écrivain y parvient. Cela peut décevoir les amateurs de noirceur mais conquérir un public davantage intoxiqué par la glose que connaisseur des textes en eux-mêmes. Michel Houellebecq est un auteur classique et bourgeois, un homme du XXe siècle pour qui seul l’amour donne pleinement sens à la vie, enraciné dans une transcendance que seule la poésie sait dire. En ce sens, on aimerait avoir lu un roman visionnaire.
En lisant les critiques des uns et des autres, comme d'ailleurs en écoutant la radio, je n'ai vraiment pas envie d'investir dans ce Houellebecq. Ma réaction avait été semblable à la parution de Soumission il faut dire, dans un contexte particulièrement anxiogène, attentats à la clé. Ce dernier, je l'ai lu il y a quelques mois seulement et j'ai vraiment aimé.
Dans ce dernier roman, si l'écrivain "parvient à faire jaillir la lumière de la désespérance"...(Karine) c'est-à-dire que dans le tragico pessimisme ambiant houellebecquien, arrive à poindre un éclair d'optimisme? Je pense qu'il faut s'en saisir pendant qu'il est temps. Alors je le lirai, histoire de me faire ma propre idée.
Non. Je ne le lirais pas . En effet c'est un homme du XX ème siècle et nous sommes au XXI ème siècle. Ce n'est pas un roman de l'amour c'est un trompe-l'oeil à ce sujet. Il attend d'une femme qu'elle le serve et soit sa béquille. Aucun intérêt. Il y a tant et tant à lire que je ne comprends même pas le nombre de ventes de cet auteur ... °v° A moins que ce ne soit à relier au nombre incroyable de vente d'anti-dépresseurs ? Et au machisme encore prégnant? Brrrouaf, allez zou, pourtant ça change heureusement, je me tourne vers d'autres autrices et auteurs, nous avons grand choix, et tant mieux ! ;-)
Bonjour et merci pour cet éclairage très intéressant sur ce livre! Houellebecq est un sacré personnage qui fait parler toujours parler de lui et de ses livres. Je n'ai lu que Soumission et je n'ai pas accroché ni au style ni à l'histoire. Par contre votre éclairage me donne envie de lire son dernier livre!