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C’est l’histoire de trois amies d’enfance israéliennes qui vont être appelées à faire leur service militaire, chacune dans une mission différente. Alternant entre chaque point de vue, on vit le quotidien de ces jeunes filles avec leurs contrariétés et leurs obsessions de jeunes filles. Mais la guerre et ses atrocités n’est pas loin. Alors la rencontre de l’innocente jeunesse et de la dure réalité, donne naissance à un récit où les pires horreurs se mélangent aux anecdotes les plus comiques.
Grâce à son expérience personnelle, Shani Boianjiu nous offre une grande bouffée d’humanité et de joie dans ce milieu militaire si rigoureux. Elle veut nous rendre témoin de la vie perturbée de ce coin du globe. Pour ce faire, elle ne va jamais prendre partie ou montrer du doigt, mais mettre en scène l’absurdité et les incohérences du système.
J’ai été fortement saisi par le réalisme du roman. Les histoires sont racontées avec tout le détachement lié au jeune âge des trois filles. Et grâce à cette naïveté, j’ai ressenti une certaine fraîcheur qui m’a permis de m’imprégner de cette réalité pourtant si cruelle. C’est un texte qui m’a fait réfléchir sur la violence sans me torturer et qui m’a fait penser à la mort en me montrant la vie. « Nous faisions semblant d’être quelqu’un d’autre» est un témoignage poignant qui restera gravé.
Une lecture fluide et un vrai choc, mais après réflexion, un bilan un peu plus mitigé...qui ouvre sur une attente.
Ce n'est qu'à la fin du récit que l'on comprend qu'il s'agissait, pour une grande part, d'arriver à évoquer – sans le détailler, mais en l'occurrence la suggestion est terriblement efficace – l'événement qui clôt les années de service militaire des trois héroïnes. Où l'on comprend que tout ce qui a fait leur vie jusque là, depuis un petit village israélien à la frontière libanaise, où l'on fabrique des pièces pour des machines qui fabriquent des avions, les a finalement conduites jusqu'à à ce moment-là. Et plus encore, la vie de celles et ceux qui les ont précédées, qui survivent ou ont choisi de partir, suicide réel ou symbolique.
Aucune idéologie dans ce récit, qui envisage le point de vue israélien sans jamais le considérer comme fondamentalement juste ; sa légitimité gît tout entière dans le fait que l'on doit s'y soumettre, puisque l'on y est pris, qu'on y est né. Le récit met clairement en évidence la réversibilité de la victime et du bourreau lorsque la violence et l'absurde sont des deux côtés le lot quotidien. Et montre que le pire peut nous être infligé par ceux de notre propre camp...
Trois caractères de jeunes filles, puis de femmes, différents mais complémentaires, une amitié loin d'être linéaire... Un destin commun mais divergent. On aimerait savoir ce que deviendront Yaël, Avishag et Léa une fois la dernière page refermée, ce qui témoigne de l'habileté de l'auteur à faire émerger un monde, mais aussi du réalisme de l'écriture : ces filles-là existent sans doute, en plusieurs lieux d'Israël. Dans d'autres pays en guerre, aussi, certainement.
On ressort vraiment ébranlé par ce récit où la violence exercée sur et par les personnages prend le plus souvent le masque de l'ironie, de la distance. Mais après réflexion, on se rend compte que la fluidité de l'écriture et la densité du propos occupent tout l'espace narratif : le parti-pris de départ, qui consiste à alterner les voix narratives en focalisation interne (succession de « je », un pour chaque personnage), n'est finalement pas suivi, il réapparaît de manière aléatoire (ou selon une logique que nous n'avons pas réussi à identifier). Il ne semble pas y avoir de réelle recherche stylistique suivie, qui ferait qu'on reconnaîtrait immédiatement la main de l'auteur dans un prochain roman.
C'est pourquoi, après coup, on se dit que l'intérêt du roman – son efficacité aussi – gisent davantage dans la façon dont l'auteur réussit à faire coller la narration à son contenu, en privilégiant ce dernier, qu'à un véritable travail d'écriture qui ferait émerger une voix d'auteur. Autrement dit, le prochain roman sera-t-il capable de réitérer cette alchimie entre fond et forme, avec obligation de se renouveler à chaque fois ? L'autre risque serait de se contenter de réécrire toujours le même récit... Mais s'il n'y a pas de main d'auteur, il y a, c'est vrai, une voix... que l'on pourra reconnaître.
Un premier roman qui en appelle donc un autre.