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Pour son 750e anniversaire, la petite ville de Gigricht en Allemagne décide de favoriser l'intégration des étrangers : 5000 marks sont offerts à ceux qui auraient quelque chose d'intéressant à raconter. Rosa Masur, vieille Juive russe à qui on ne la fait pas et dotée d'un sens de l'humour à toute épreuve, se porte candidate. Elle a l'anecdote du siècle.
Un siècle qu'elle a vécu de bout en bout, avec ses révolutions, ses guerres mondiales, ses soubresauts. Petite Juive dans un village biélorusse où les pogroms ne sont jamais loin, jeune fille émancipée dans la Leningrad des années 20, ouvrière dans une usine textile, puis traductrice de l'allemand. Pendant l'interminable siège de la ville, mère de deux enfants, elle fait du bouillon avec la colle du papier peint, alors que ses voisins dévorent leur canari, ou pire ; après la guerre elle doit batailler pour que son fils puisse étudier, l'antisémitisme étant entretemps revenu à la mode.
Sorcières, apparatchiks, soldats, cannibales, passeurs, commères défilent dans une épopée menée tambour battant par une femme extraordinaire, drôle, intelligente, et qui n'a pas froid aux yeux. Même face à Staline.
L’ETRANGE MEMOIRE DE ROSA MASUR
Vladimir Vertlib
Editions Métailié
( c’est son deuxième roman publié en Autriche en 2001 – traduit en français en 2016)
411 p
Né en 1907 en Biélorussie, Rosa Masur, âgée de 92 ans , accepte de raconter l’histoire de sa vie à un fonctionnaire allemand de Gigricht, petite ville dans laquelle elle s’est installée avec son fils et sa belle-fille, au cours des années 1990 après la chute du mur et la dislocation de l’urss. Elle a été sollicitée en ce sens ainsi que quelques autres personnes, par la municipalité, à l’occasion du 750ème anniversaire de la ville, afin de mettre à l’honneur les communautés étrangères qui y vivent et de célébrer l’ouverture d’esprit et l’absence de racisme de la population locale. Le maire prévoit d’organiser à l’issue des différentes interviews, une cérémonie officielle, la rémunération de chaque séance d’entretien à un montant de 50 marks et une récompense finale de 5000 marks sera décernée à ceux qui auront raconté l’histoire la plus intéressante justifiant leur volonté d’émigration.
Rosa Masur a traversé tous les drames, les espoirs, les désillusions du siècle sans perdre son humour, son sens de l’observation et sa formidable énergie. Elle veut à tout prix obtenir ces 5000 marks (la vie en Allemagne coûte cher et les subsides sont minces, et elle veut offrir à son fils ce voyage à Aix-en-Provence dont il rêve tant). Elle va donc aller d’entretien en entretien, rassemblant le maximum de souvenirs, histoires vécues par les siens et son entourage, et promettre de raconter à la fin l’histoire la plus incroyable que ces gentils Allemands bourrés de remords envers les siens, ont jamais espéré entendre.
Le personnage de Rosa Masur nous subjugue par la force, la vivacité et la profondeur du récit qu’elle livre de la vie d’une simple femme juive, qui avait cru que le communisme allait enfin faire régner la justice dans une Russie dont elle avait pu mesurer, enfant, la violence et les inégalités.
Dotée d’un courage et d’un humour à toute épreuve, rescapée du siège de Leningrad et de la terreur stalinienne, Rosa Masur porte un regard sans complaisance, narquois et désabusé, sur la société de consommation qu’elle découvre à l’Ouest.
Rosa Masur naît en Bielorussie (bordée à l’ouest par la Pologne, au sud par l’Ukraine) ; dans ce pays soumis à de nombreuses invasions, les communautés juives savaient que les pogroms étaient aussi présents que les saisons.
La Bielorussie n’a pas réellement eu d’existence autonome, toujours envahi par diverses armées. De ce fait, ce pays est une métaphore de ce qui se passe dans différentes régions du monde et peut servir de prisme à ce qui se passe actuellement dans le monde. La famille de Rosa Masur est très pauvre et donc l’idée de l’immigration est très présente. Témoin sa sœur ainée qui émigre au Canada, contrée qui les fait rêver, mais la peur et la pression familiale auront raison de leurs rêves.
La question du racisme et de l’antisémitisme traverse tout le livre ; cela était très présent en URSS et l’est toujours en Russie aujourd’hui. Lorsqu’elle émigre en Allemagne, Rosa Masur va reconnaître le racisme contre les Noirs.
Rosa Masur est une femme qui a une grande résistance, qui a un humour à toute épreuve ; on a l’impression en suivant son histoire que l’humour a été une forme de survie, celui qui lui a permis de surmonter les épreuves de la vie. La tragédie a toujours un deuxième visage qui peut-être celui de la dérision et Vladimir Vertlib essaie toujours, dans ses textes de jouer sur cette ambivalence.
Rosa Masur a été dans sa jeunesse, une communiste convaincue, persuadée que le communisme permettrait de vaincre l’antisémitisme ; un moyen pour les communautés juives de s’émanciper et de cesser de craindre les pogroms ; puis est venu le temps de la désillusion. Sa vie entière passe par des hauts et des bas puisque les juifs vont travailler pendant des périodes à l’instauration du communisme, puis il y aura de nouveau la déportation. Témoin l’histoire d’un camarade de l’Armée rouge de son frère qui a été sauvé des nazis par une déportation au goulag ; il était donc normal d’être communiste puisque les communistes l’avaient sauvé…
Ce livre est riche en histoires de ce type, histoires que l’auteur a recueillies auprès de juifs qu’il a rencontrés et replacées dans la vie des personnages. Des histoires « drôles », absurdes, de l’humour noir, mêlées à l’Histoire de l’Urss, de la grande guerre, du siège de Leningrad. L’auteur puise aussi son inspiration dans « l’archipel du goulag » de Soljenytsine.
Dans le roman l’auteur fait sans cesse référence à la force des femmes, plus fortes, plus malignes, plus débrouillardes, plus loyales. Un vrai livre féministe inspiré non seulement par les femmes de sa famille mais également par beaucoup d’autres et particulièrement les femmes russes. En URSS, les femmes semblent en retrait, et les hommes roulent des mécaniques, mais en réalité, ce sont elles qui tirent les ficelles et permettent de surmonter la vie quotidienne.
Une lecture prenante, instructive, émouvante. C’est très fort, parfaitement maîtrisé dans la construction et l’émotion. Un auteur qui mérite d’être connu en France.
Premier roman de Vladimir Vertlib à paraître en français, L’étrange mémoire de Rosa Masur peut déjà s’enorgueillir de deux prix littéraires, reçus lors de sa parution en langue allemande en 2001 : le prix Anton Wildgans, remis à de jeunes auteurs de nationalité autrichienne, et le prix Adelbert von Chamisso, qui distingue une œuvre publiée et écrite en allemand par des écrivains dont ce n’est pas la langue maternelle. Né en 1966 à Leningrad (redevenue en 1991 Saint-Pétersbourg), Vladimir Vertlib est à l’image des personnages qu’il met en scène : un migrant. Immigrant à l’âge de cinq ans en Israël avec ses parents, pour s’installer en Autriche, en passant par un court séjour en Italie, l’auteur n’acquiert la nationalité autrichienne qu’en 1986. Cette expérience, il l’intégrera dans ses romans et notamment dans L’étrange mémoire de Rosa Masur, publié par les éditions Métailié.
Nous voici en Allemagne, dans une petite ville imaginaire du nom de Gigricht qui s’apprête à célébrer le 752e anniversaire de sa fondation. Pour l’occasion, les organisateurs décident de mettre en avant les étrangers de la ville en publiant un ouvrage retraçant leurs histoires avec, à la clef, une récompense de 5000 marks. C’est alors que Rosa Masur, une vieille femme de 90ans, une Juive émigrée russe décide de raconter son histoire et, avec humour et une imagination affûtée, décide de livrer l’anecdote la plus incroyable, en commençant… par le début et son enfance dans un village de la Biélorussie, bien avant la Révolution.
Vladimir Vertlib, par la voix de Rosa Masur, entraîne alors le lecteur à travers un siècle chaotique, porté par deux conflits mondiaux et des batailles d’idéologies qui se veulent bénéfiques et qui seront dramatiques pour ceux qui les vivront. De cette petite histoire, la grande n’est jamais loin, se mêlant à la vie de Rosa qui participe au comité du parti, travaillant, après la Révolution, dans une usine de textile pour payer ses études. Un premier emploi qui lui fera connaître sa meilleure amie, Macha, dont elle sera obligée de traîner le corps gelé sur une luge lors du siège de Leningrad et qui continuera à lui parler d’outre-tombe. Devenue traductrice de l’allemand, elle sera forcée d’abandonner ce métier où elle manipulait la langue de l’ennemi et ce, tandis que les troupes de Hitler seront aux portes de la Russie.
Elle découvre alors le régime de Staline, toutes ces promesses qui ne seront plus que des désillusions, une épreuve de plus dans une vie qui n’est constituée que par cela. Le totalitarisme et son indéfectible organe kafkaïen qu’est la bureaucratie n’entameront pas la force, le courage de Rosa, qui trouvera le moyen de faire venir à elle Staline en personne, une apparition sans fard du dirigeant soviétique, loin des artifices et du maquillage de ses apparitions télévisées. Et puis la chute du régime soviétique, celle du mur de Berlin, l’ouverture vers l’Ouest et son départ pour la petite ville d’Autriche, avec son fils et sa belle-fille.
Faisant preuve d’imagination, elle s’efforce de survivre, refusant de baisser les bras là où d’autres l’auraient fait par fatalisme : elle se dévoue à ses enfants, au point de consulter une sorcière pour guérir son fils de son étrange comportement, elle confectionne de la soupe avec la colle du papier peint pour éviter de mourir de faim pendant le siège de Leningrad, tout en devant protéger ses enfants des cannibales qui rôdent dans les rues, affectionnant la tendre chair des gamins. Elle doit aussi lutter avec sa condition, celle de Juive, faisant face à l’antisémitisme qui souffle sur le XXème siècle, lui interdisant alors de vivre à l’égal des autres.
Épique, c’est le mot qui sert le mieux à décrire le souffle qui traverse le roman, c’est cette ambition que l’auteur a en nous livrant un roman sur la guerre et sur la paix, sur ce XXème siècle plein d’espoir et qui ne laissera derrière lui que de la consternation, des tourments, des désillusions. La force de Rosa, son désir de vivre, de survivre, et son humanité donne une leçon d’humilité et un point de vue sarcastique sur les hommes et leurs comportements, sur cette Histoire qui ne retiendra le nom de quelques personnes seulement. Vladimir Vertlib écrit un grand roman, dont l’ampleur lui confère immédiatement une place auprès de ces épopées russes que sont Guerre et Paix de Tolstoï ou Vie et Destin de Vassili Grossman.
https://unepauselitteraire.com/2016/03/20/letrange-memoire-de-rosa-masur-de-vladimir-vertlib/
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