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En choisissant ce roman dans Masse critique de janvier 2024 je me demandais sur quoi j’allais tomber. Je m’attendais à quelque chose de décalé, déjanté.
Paul, un ingénieur en aéronautique au chômage depuis la fermeture de son entreprise suite à la guerre civile, pour passer le temps surfe sur les réseaux sociaux et derrière son écran ose dire certaines choses très violents jusqu’au jour où celui qu’il a insulté, en l’occurrence un haut gradé du nom de Boris Loupovitch, va être arrêté et interrogé. Son interrogatoire sera filmé et mis en ligne à son grand dam puisqu’il n’a pas réussi à tenir ses sphincters de sa vessie. Ilva donc acquérir une certaine notoriété sous le quolibet de « pisseur ».
Mais cela va avoir des conséquences sur le reste de sa famille et notamment de sa fille qui va se retrouver isolée. Face à cet acharnement, un zèbre (échappé du zoo lors de son bombardement ?) se balade tranquillement dans la ville.
On pourrait identifier Paul à ce zèbre, tous deux vivent leur vie dans un monde dans lequel ils ont perdus leur repère et en utilisant les outils à leur disposition mais pas de la meilleure façon.
Ce roman nous montre à quel point nos sociétés actuelles ont perdu l’essentiel et que le développement de certaines technologies, qui si au départ est positif, peut s’avérer vite destructeur si on n’en donne pas le mode d’emploi.
Cependant le roman est loin d’être noir car on voit bien que Paul ne sait pas toujours utiliser à bon escient les cartes qu’il a en main mais on découvre qu’il déborde d’amour pour sa femme et sa fille et aussi pour sa mère même s’il a très maladroit dans sa démonstration. C’est comme s’il vivait sur une autre planète, il ne perçoit pas la perfidie de certaines personnes.
J’ai beaucoup aimé ce roman qui m’a fait sourire et m’a fait découvrir un monde différent. La vie dans les pays ayant longtemps été soumis (encore peut-être par confort dirai-je) à la dictature est indescriptible pour nous occidentaux et de voir que certains auteurs arrivent à e parler avec autant d’humour et de dérision est un bon moyen de les découvrir. Bonne pioche.
https://quandsylit.over-blog.com/2024/02/zebre-en-guerre-vladimir-vertlib.html
.Vladimir Vertlib est autrichien d’adoption, et russe d’origine : ce sont ces mêmes origines qui à l’évidence l’inspirent à chaque roman, celui-ci ne faisant pas exception. Ce roman-là a été écrit avant l’attaque de 2022 de l’Ukraine par la Russie . L’auteur parle beaucoup d’exil dans ses œuvres précédentes, notamment dans celles qui n’ont pas été traduites en français, de la migration depuis l’ex-URSS vers l’Europe de l’Ouest et Israël. Ici, il parle de guerre, de ces pays et villes, c’est le cas ici, qui subissent un coup d’état, qui sont occupés du jour au lendemain par une armée étrangère,ou une milice, un groupe de dissidents, de séditieux qui veulent imposer leurs règles.
Cette ville est sans nom. C’est pour cela qu’elle m’a fait penser à Épépé de l’auteur hongrois, Ferenc Karinthy. Tout juste sait-on qu’elle se trouve à l’est de l’Europe et que les noms ont des consonances slaves. Vladimir Vertlib parsème son texte d’indices qui nous amène à penser à l’endroit qu’il a en tête, lui l’Autrichien qui trouve ses origines en Russie. Notre anti-héros s’appelle Paul Sarianidis, il est marié avec Flora, médecin, ils ont une fille de doux ans Lena. Ils vivent ensemble avec la mère de Paul, Eva. Deux membres d’une milice viennent frapper chez lui pour l’amener devant un militant. Ce dernier n’est pas n’importe qui, c’est l’homme que Paul a copieusement insulté dans l’un de ses commentaires sur les réseaux sociaux au cours d’une dispute virtuelle avec un internaute tout aussi virtuel. Les choses tournent au ridicule, Paul ressort de cet entretien avec une vidéo de lui qui devient virale, en train de s’uriner dessus de peur alors qu’il est interrogé. Paul a à peine le temps de penser à la façon de réparer son honneur que la guerre civile éclate : les anciens protagonistes proches du pouvoir deviennent indésirables, et la population, qui était loin d’être favorable au renversement de régime, s’accoutume de mieux en mieux à ses nouveaux bourreaux. On se pose la question constamment de savoir de quelle ville il est question, j’ai pensé à Odessa, ou Sébastopol mais Marioupol, également, possède une ouverture sur la mer. Ou un mélange de ces villes et d’autres d’Ukraine. L’essentiel, c’est que sous-tend le récit, une guerre qui n’est pas nommée ainsi, mais désignée par l’acronyme OPE, opération de police élargie (contre les terroristes), comme si cela ne nous rappelait rien, cette fameuse Opération spéciale chère à Poutine.
Paul est un drôle de zèbre : c’est un ingénieur au chômage qui tourne en rond chez lui. Un homme quelconque, ni particulièrement courageux, ni remarquable en quoi que ce soit, il subit tout ce qu’il se passe autour de lui avec ses sursauts de conscience et d’héroïsme. Un être un peu naïf, la tête dans les nuages qui voient les choses à travers un écran de fumée, les orages du début de roman qu’il compare à la foudre de Zeus, lui l’ingénieur en aéronautique, est bien ramené à la réalité par sa fille qui est capable de lui nommer la désignation exacte du chasseur qui a déchiré le ciel, un WS-1B.
Vladimir Vertlib, comme dans Epépé, utilise la parodie pour construire un double d’une réalité que l’on connaît déjà, qui nous semble vaguement familière, sans que l’on puisse avec exactitude établir un lien effectif avec des lieux et événements précis. Les méthodes dans les dictatures, et les guerres d’invasion, sont toujours les mêmes. Parodie parce que Vladimir Vertlib a décidé de prendre les choses, avec distance, sous le signe du rire, de la moquerie, de l’autodérision qu’il soit franc ou jaune : malgré la gravité de la situation, qui ressurgit telle quelle ponctuellement à certains points de la narration, quelques passages ont provoqué quelques francs éclats de rire. Et ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé dans une lecture. L’auteur autrichien s’épanche notamment sur les excès et mauvaises utilisations des réseaux sociaux dans lesquels son personnage Paul est tombé les deux pieds dedans, dans lesquels nous sommes d’ailleurs peut-être tous tombés ( Qui n’a pas été énervé par un commentaire d’une personne lambda sur Facebook ou autres réseaux sociaux ? ) Et c’est décrit avec tellement de justesse que ça en devient hilarant, même si Paul ne le vit pas de cette façon, ce que l’on peut comprendre dès lors que l’on se met à sa place.
Ce roman décrit une société de l’instantanéité, des réactions, des informations, des opinions, qui se retournent aussi vite qu’une doudoune réversible, où les réseaux sociaux sont devenus les catalyseurs de cette temporalité accélérée, où les coups d’Etat se succèdent, les informations s’enchaînent tout comme la virulence des réactions, où personne ne prend plus le temps de rien. Paul est au beau milieu de tout ce cyclone, où tout vole dans tous les sens, il traverse les événements comme il peut, avec leur non-sens, leur absurdité. Un drôle de zèbre qui ne fait que passer.
Bon, autant le dire tout de suite, j'ai eu du mal à mener à bout cette lecture et il me semble tout simplement que le sens profond m'a complètement échappé.
Et pourtant, le titre m'avait vraiment attirée. Pour la petite histoire, Lucia est le surnom que des copains anglais m'ont donné en référence aux livres de E. F Benson : le cycle de Mapp et Lucia - publié de nouveau récemment chez Payot- (oh, si vous ne connaissez pas… C'est un pur délice, très très anglais…) Bref, avec une copine, MAP, nous allions tous les étés à Londres faire les quatre cents coups… Quant à l'âme russe, j'ai déjà raconté ici et là, (j'ai tendance à radoter un peu) que ma grand-mère paternelle était russe. Bref, Lucia et l'âme russe, c'était forcément pour moi ! En plus, sur la 4e de couv, il est question d'un de mes romans russes préférés : Le Maître et Marguerite de Boulgakov.
Donc imaginez mon attente et du coup, ma déception !
Le sujet, hum, hum, ça coince (beau début de chronique). Une vieille femme, Lucia Binar, immobilisée chez elle pour cause de clavicule cassée lors d'un accident de bus, attend que les services sociaux lui livrent son repas. Mais rien ne vient, et lorsqu'elle parvient enfin à joindre le service d'urgence sociale, une employée un peu débordée se moque d'elle et l'invite à manger les biscottes ou les gaufrettes qui traînent dans son placard. Très bien, se dit Lucia, elle ne perd rien pour attendre, celle-là !
Arrive ensuite un étudiant, membre de l'association « Non au racisme dans nos rues » : il souhaite que la rue des Maures Mohrengasse soit rebaptisée la rue des Carottes Möhrengasse, ce qui fait évidemment beaucoup rire Lucia, elle qui est née et a toujours vécu dans cette rue de Vienne. Elle a traversé tout le XXe siècle dans cet appartement et elle ne le quittera que les pieds devant. « Lorsque notre rue fut pavoisée de croix gammées, j'avais cinq ans. Lorsque les derniers juifs de notre quartier ont été déportés, j'en avais neuf ; lorsque sont tombées les premières bombes, j'en avais dix ; durant la bataille de Vienne et à la fin de la guerre, peu de temps après, j'en avais douze ; quand l'Autriche a été de nouveau libérée, j'en avais vingt-et-un ; quand les premiers travailleurs immigrés sont arrivés dans notre quartier, j'en avais trente-trois. » Mais l'immeuble est de plus en plus mal fréquenté : des squatters y vivent et le propriétaire trouve cela très bien car au fond, il souhaite le départ de ses occupants afin de récupérer son immeuble. Lucia va devoir se battre pour rester…
Le XXIe siècle ne se présente pas très bien pour elle...
Puis, un autre personnage entre dans le roman : Alexander, un jeune émigré russe. Il se retrouve plus ou moins coincé dans un ascenseur fou avec une jeune femme, Élisabeth. Cet incident les rapprochera et un peu plus tard, Alexander se mettra à lui raconter sa vie, la mort de sa tante, sa rencontre avec un certain Viktor Viktorovitch, une espèce de charlatan-magicien qui veut créer une entreprise pour aider les gens à se découvrir et à voyager dans l'âme russe, ses relations avec ses demi-sœurs Ludmilla et Polina, ses mésaventures avec son beau-frère… La pauvre Élisabeth qui l'écoute raconter ses histoires est d'une patience… Elle en redemande même…
J'avoue que, de mon côté, j'ai vite été rassasiée par les propos d'Alexander, me suis perdue dans le sens général du texte, à la recherche d'une unité et d'une réelle progression narrative et rien ne m'a vraiment amusée dans cette histoire un peu forcée.
J'ai bien compris tout de même que Vienne apparaît comme une ville où les gens sont racistes, xénophobes, antisémites, que la modernité fait peur à certains personnages qui semblent avoir du mal à faire le lien entre leur vie d'autrefois et les grands changements actuels (ère du numérique etc, etc...)
J'ai cependant trouvé le personnage de Lucia attachant : ancienne institutrice et dévoreuse de livres, elle cite régulièrement des œuvres, connaît des vers par coeur et l'on sent que la littérature l'aide à surmonter les difficultés de l'existence. « Ma soif de mots est plus forte que mon désir de m'alimenter d'une nourriture plus substantielle que des poèmes. » J'aurais aimé que le roman soit davantage centré sur ce personnage plein d'humour et n'ayant pas l'intention de se faire dicter une ligne de conduite quelle qu'elle soit…(J'ai eu l'impression de retrouver un peu Aaliya Saleh, le personnage d'Une vie de papier de Rabih Alameddine.)
Oui, bien sûr, c'est une oeuvre originale, étrange, excentrique à souhait, bien déjantée, les événements improbables et les rencontres folles s'accumulent mais l'on peine (moi en tout cas) à y voir clair. Si quelqu'un peut me venir en aide… Je suis disposée à prendre en compte toutes les interprétations que vous me proposerez...
LIRE AU LIT http://lireaulit.blogspot.fr/
L’ETRANGE MEMOIRE DE ROSA MASUR
Vladimir Vertlib
Editions Métailié
( c’est son deuxième roman publié en Autriche en 2001 – traduit en français en 2016)
411 p
Né en 1907 en Biélorussie, Rosa Masur, âgée de 92 ans , accepte de raconter l’histoire de sa vie à un fonctionnaire allemand de Gigricht, petite ville dans laquelle elle s’est installée avec son fils et sa belle-fille, au cours des années 1990 après la chute du mur et la dislocation de l’urss. Elle a été sollicitée en ce sens ainsi que quelques autres personnes, par la municipalité, à l’occasion du 750ème anniversaire de la ville, afin de mettre à l’honneur les communautés étrangères qui y vivent et de célébrer l’ouverture d’esprit et l’absence de racisme de la population locale. Le maire prévoit d’organiser à l’issue des différentes interviews, une cérémonie officielle, la rémunération de chaque séance d’entretien à un montant de 50 marks et une récompense finale de 5000 marks sera décernée à ceux qui auront raconté l’histoire la plus intéressante justifiant leur volonté d’émigration.
Rosa Masur a traversé tous les drames, les espoirs, les désillusions du siècle sans perdre son humour, son sens de l’observation et sa formidable énergie. Elle veut à tout prix obtenir ces 5000 marks (la vie en Allemagne coûte cher et les subsides sont minces, et elle veut offrir à son fils ce voyage à Aix-en-Provence dont il rêve tant). Elle va donc aller d’entretien en entretien, rassemblant le maximum de souvenirs, histoires vécues par les siens et son entourage, et promettre de raconter à la fin l’histoire la plus incroyable que ces gentils Allemands bourrés de remords envers les siens, ont jamais espéré entendre.
Le personnage de Rosa Masur nous subjugue par la force, la vivacité et la profondeur du récit qu’elle livre de la vie d’une simple femme juive, qui avait cru que le communisme allait enfin faire régner la justice dans une Russie dont elle avait pu mesurer, enfant, la violence et les inégalités.
Dotée d’un courage et d’un humour à toute épreuve, rescapée du siège de Leningrad et de la terreur stalinienne, Rosa Masur porte un regard sans complaisance, narquois et désabusé, sur la société de consommation qu’elle découvre à l’Ouest.
Rosa Masur naît en Bielorussie (bordée à l’ouest par la Pologne, au sud par l’Ukraine) ; dans ce pays soumis à de nombreuses invasions, les communautés juives savaient que les pogroms étaient aussi présents que les saisons.
La Bielorussie n’a pas réellement eu d’existence autonome, toujours envahi par diverses armées. De ce fait, ce pays est une métaphore de ce qui se passe dans différentes régions du monde et peut servir de prisme à ce qui se passe actuellement dans le monde. La famille de Rosa Masur est très pauvre et donc l’idée de l’immigration est très présente. Témoin sa sœur ainée qui émigre au Canada, contrée qui les fait rêver, mais la peur et la pression familiale auront raison de leurs rêves.
La question du racisme et de l’antisémitisme traverse tout le livre ; cela était très présent en URSS et l’est toujours en Russie aujourd’hui. Lorsqu’elle émigre en Allemagne, Rosa Masur va reconnaître le racisme contre les Noirs.
Rosa Masur est une femme qui a une grande résistance, qui a un humour à toute épreuve ; on a l’impression en suivant son histoire que l’humour a été une forme de survie, celui qui lui a permis de surmonter les épreuves de la vie. La tragédie a toujours un deuxième visage qui peut-être celui de la dérision et Vladimir Vertlib essaie toujours, dans ses textes de jouer sur cette ambivalence.
Rosa Masur a été dans sa jeunesse, une communiste convaincue, persuadée que le communisme permettrait de vaincre l’antisémitisme ; un moyen pour les communautés juives de s’émanciper et de cesser de craindre les pogroms ; puis est venu le temps de la désillusion. Sa vie entière passe par des hauts et des bas puisque les juifs vont travailler pendant des périodes à l’instauration du communisme, puis il y aura de nouveau la déportation. Témoin l’histoire d’un camarade de l’Armée rouge de son frère qui a été sauvé des nazis par une déportation au goulag ; il était donc normal d’être communiste puisque les communistes l’avaient sauvé…
Ce livre est riche en histoires de ce type, histoires que l’auteur a recueillies auprès de juifs qu’il a rencontrés et replacées dans la vie des personnages. Des histoires « drôles », absurdes, de l’humour noir, mêlées à l’Histoire de l’Urss, de la grande guerre, du siège de Leningrad. L’auteur puise aussi son inspiration dans « l’archipel du goulag » de Soljenytsine.
Dans le roman l’auteur fait sans cesse référence à la force des femmes, plus fortes, plus malignes, plus débrouillardes, plus loyales. Un vrai livre féministe inspiré non seulement par les femmes de sa famille mais également par beaucoup d’autres et particulièrement les femmes russes. En URSS, les femmes semblent en retrait, et les hommes roulent des mécaniques, mais en réalité, ce sont elles qui tirent les ficelles et permettent de surmonter la vie quotidienne.
Une lecture prenante, instructive, émouvante. C’est très fort, parfaitement maîtrisé dans la construction et l’émotion. Un auteur qui mérite d’être connu en France.
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