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Chronique : L'été des noyés - John Burnside
Liv, jeune adolescente solitaire, vit avec Angelika, sa mère, une belle artiste peintre qui s'est retirée du monde en pleine gloire, sur cette petite île de Kvaløya, au bord du cercle polaire. Liv s'interroge avec son veil ami Kyrre Opdhal sur la disparition subite de deux jeunes frères, morts noyés dans d'étranges circonstances. Tellement étranges, d'ailleurs, que Kyrre Opdhal n'hésite pas à convoquer les contes et les légendes scandinaves pour l'expliquer. La huldra, notamment, cette beauté fatale qui aurait ensorcelé les frères Sigfridsson et les aurait tués dans la nuit blanche. Car ici, tous les repères sont bouleversés, laissant une place de choix au surnaturel. "Le temps existe encore, bien sûr - il est là-bas, dans le monde où vivent les autres, mais ce n'est qu'un concept". Cet espace- temps si particulier qui nous transporte, avec Liv, aux frontières du réel et qui, petit à petit, introduit des distorsions de plus en plus dérangeantes dans nos perceptions. Il y a toujours une forme de jubilation à pénétrer l'univers d'un roman, d'un personnage. Quand les sensations deviennent palpables, les odeurs, les couleurs, les sons, familiers. John Burnside parvient à créer cette alchimie. Le rythme est ample, complexe, la poésie est partout, sublime, angoissante. Et le lecteur, pris entre rêve et réalité, se surprend à faire beaucoup plus de chemin que l'auteur ne lui en demande. Un très beau texte, une belle traduction.
Avec une écriture plutôt complexe au début, on finit par glisser doucement dans la vie de Liv. La sensation de s'imprégner de son univers est palpable. Cet univers, d'ailleurs, qu'est-il ? Une croix ? Un choix ? Se présentant comme une observatrice de Dieu, on finit par donner ce rôle à Liv. Sans vie réelle, dans le sens le plus commun que l'on donne à la vie, Liv est là on ne sait pas bien comment, on ne sait pas bien pourquoi. On finit par fouler la terre de l'île en même temps qu'elle, par regarder à travers ses jumelles ces étranges voyageurs venus chercher une solitude aussi extrême que les caprices du soleil et des saisons. Personnage atypique semblant être un roc, Liv se confronte à une mère dont le personnage oscille entre la folie saine et l'indifférence.
Sous des airs de roman classique mettant en scène des paysages dépouillés d'une Norvège située aux confins du Nord, John Burnside nous entraîne dans une véritable spirale de tension, un thriller sous sa meilleure forme : légère tout en restant grave, effrayante sans être glauque. Les personnages sont impalpables, on ne sait jamais vraiment rien d'eux, seulement qu'ils sont là pour certaines raisons. Les relations entre eux ne sont pas simples, pas naturelles. Tantôt inconnu tantôt ami, tantôt connaissance tantôt prétendant, les personnages cultivent chacun à leur manière une solitude qu'ils défendent farouchement. Certains passages du roman nous font toucher au danger, au mystère, comme si l'on approchait d'un sombre secret.
Quand on arrive en Angleterre avec Liv, on regrette presque ce dénuement, cette nature qui a pris la place de la modernité, ce soleil capricieux. On se rend compte que cette île que Liv ne décrit ni comme un Paradis ni comme un Enfer est en fait entièrement elle. Son escale y est angoissante. On y croise des morts, des fantômes peut-être, des jeunes filles étrangement semblables et inamicales. La tension monte et, bercé par une écriture devenue d'une fluidité remarquable, on ne voit pas arriver la peur. Et puis la légende reprend le dessus, l'irrationnel, le fantastique. Sous-jacent dès le début, on ne s'y attend pourtant pas. Et pourtant, on y croit aussi, on y croit autant que Liv et Kyrre. On y croit parce qu'il ne pourrait y avoir meilleure explication, parce qu'il ne doit pas y avoir une autre explication. Le drame est absolu, la raison doit être irréelle.
Porté par une écriture remarquable, un sens de la narration qui se suffit à lui-même, les paragraphes sont denses, les dialogues presque inexistants, L'été des noyés est une belle surprise, à la fois fantastique et lyrique qui appelle à se questionner sur ce que représente vraiment notre monde, sur l'importance des anciennes légendes, sur l'esprit qui ne peut pas toujours tout rationaliser.