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Un jour d'été, bar de la Marine, à Quillebeuf. Au large, l"estuaire de la Seine. C'est, à nouveau, Duras. A nouveau ce désoeuvrement maritime, blanc et bleu, des plages tout juste passées de mode, avec un rien de luxe, des clients perdus et des voix qui renouent d'impossibles ruptures. « Je ne peux pas m'arrêter d'écrire, dit la narratrice à l'homme qui l'accompagne, je ne peux pas. Et cette histoire, quand je l'écris, c'est comme si je vous retrouvais... que je retrouvais les moments où je ne sais pas encore ni ce qui arrive, ni ce qui va arriver... ni qui vous êtes, ni ce que nous allons devenir. » La narratrice et l'homme qu'elle n'aime plus - ou qu'elle aime - observent deux autres solitaires du bar de la Marine, deux Anglais de l'île de Wight, venus de leur yacht : le « captain » et une femme détruite par l'alcool, jadis peut-être belle. Les deux voix françaises se mêlent aux deux voix anglaises, auxquelles il faudrait ajouter par instants la voix de la douce tenancière des lieux - elle aussi sur le départ. On apprendra le drame du couple anglais et, par échos, celui du couple français. Et l'on rêve de celle qui fut surnommée Emily L., la femme de l'amour fou, la lady des poèmes et des yachts, voguant parmi les îles de la Sonde.
Mais la belle journée passe, des pétroliers - hauts immeubles de l'impeccable blanc - montent sur le bleu et le noir. Un bac rouge, fragile, jette sa tache vive. L'immensité entre doucement dans la nuit. Il reste une certaine tranquillité, parcourue d'angoisses : celle du corps qui lit en soi le passage sans remède de toutes choses, « le corps qui lit et qui veut connaître l'histoire depuis les origines, et à chaque lecture ignorer toujours plus avant que ce qu'il ignore déjà ».
Jean-Maurice de Montremy
Marguerite DURAS écrit d'une façon morcelée mais intime, belle, triste.
C'est d'abord ce couple qu'elle forme avec Yann Andréa bien que ce soit "finit pour elle et que pourtant elle est encore là, dans les parages de cet homme, que son corps est encore à portée du sien, de ses mains" (p. 20). En disant ces mots elle parle d'un autre couple pour parler d'elle : le Captain et sa femme anglaise qui fut belle mais désormais ravagée par l'alcool. C'est un couple que MD et YA observe de leur table au bar de l'hôtel de la Marine. Un couple qui se délite, qui s'est aimé passionnément, qui se comprend encore sans mot, qui ne veut pas se quitter comme une impossibilité d'y penser et pourtant, ils ne sont plus rien.
Plus loin, ce couple du Captain et de sa femme sont comme le miroir du Marin de Gibraltar (p. 30), ce qui aurait pu leur arriver après 10 ans d'un amour à fuir.
Il y a une 3e période dans ce livre, une étrange histoire dans l'histoire. L'histoire de ce Captain et de cette femme, l'histoire de cet enfant mort à la naissance.
Et puis vient enfin Emily L., la femme du Captain et miroir de Duras. Cette femme qui écrit, dont l'écriture aurait pu la sauver mais qu'on a empêché de continuer. Cette femme qui fut belle mais dont tout est ravagé par l'alcool (p. 106), sauf ses jambes qu'elle garde encore belles (Duras dit cela d'elle dans d'autres livres). Et l'Amant de sa jeunesse devient ce jeune gardien qui aurait gardé son amour intact pour elle, malgré un mariage, malgré l'adversité. Il l'aurait attendue, cherchée, oubliée, retrouvée en mémoire. Il l'aurait vu physiquement mais il n'aurait pas osé l'aborder, d'où cet amour inabouti mais qu'elle présente pourtant comme absolu.
Enfin, cette triste conclusion directement adressée à Yann Andréa : "Vous ne m'aimiez déjà plus à cet époque-là. Vous ne m'aviez sans doute jamais aimée. Vous pensiez m'abandonner, c'était une question d'argent pour vous, de gagner de l'argent" (. 144). Cela résonne avec cet amour dont on doute tout au long du livre concernant le Captain envers sa femme.
C'est aussi un livre où Marguerite DURAS parle de son écriture, du comment, du pourquoi vitale. Elle en parle abruptement, sans détour, tout au long des pages.
Il y a des livres signés Duras, que j’aime plus ou moins mais celui-ci fait partie des très appréciés, pas tant par l’histoire en elle-même mais par le rythme et le style comme une écriture peinte avec des mots. Peinture abstraite au couteau avec des couleurs justes où le lavis du passage de la vie et le drame amoureux ressortent comme des clairs obscurs entre les taches vives. Par le dialogue et l’époque (1987), on peut imaginer que le narrateur est M. Duras elle-même, accompagnée par Yann Andréa. « Je me souviens d’une certaine tranquillité qui était partout répandue sur la mer et sur nous. Cette nuit-là, vous n’êtes pas sorti pour courir les grands hôtels et les collines. Vous êtes resté là. Je suis allée me coucher… La nuit vous emmenait dans l’oubli de cette existence que vous meniez avec moi et que vous souhaitiez abandonner. » Image arrêtée dans un bar à Quillebeuf. Plage, mer, fleuve, port, blanc, bleu, orage, lumières de juin, pétroliers blancs, bac rouge et fragile transbordant les touristes, des coréens entre autres. Un couple de vieux plaisanciers anglais alcooliques. Le thème cher à l'auteure : l’amour, la déchéance, le drame caché dévoilé, « L’immensité de l’amour apparaît très fort lorsqu’ils s’abandonnent au silence d’une colère contenue ou à l’hébétude de l’ivresse. Ils se regardent un peu fâchés, pleins de douleur. Puis ils détournent les yeux vers le sol, vers le néant, le passage des gens sur la place, les arrivées et les départs du bac rouge. Ils se regardent de nouveau dans un amour naissant. Vous regardez le fleuve. Le couchant est entré dans la salle du café. Il est dans vos yeux rieurs… Les mots vous enchantent. » Et bien sûr, l’écriture. « Je voulais vous dire que ce n’était pas assez d’écrire bien ou mal, de faire des écrits beaux ou très beaux, que ce n’était plus assez pour que ce soit un livre à lire dans une avidité personnelle et non pas commune. Que ce n’était pas assez non plus d’écrire comme ça, de faire accroire que c’était sans pensée aucune, guidé seulement par la main, de même que c’était trop d’écrire avec seulement la pensée en tête qui surveille l’activité de la folie… Je vous ai dit aussi qu’il fallait écrire sans correction, pas forcément vite, à toute allure, non, mais selon soi et selon le moment qu’on traverse, soi, à ce moment-là, jeter l’écriture au-dehors, la maltraiter presque, oui, la maltraiter, ne rien enlever de sa masse inutile, rien, la laisser entière avec le reste, ne rien assagir, ni vitesse ni lenteur, laisser tout dans l’état de l’apparition. »
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