Je n'étais plus une enfant lorsque j'ai lu le livre de Daniel Defoe ; et c'est tant mieux, car j'aime ce qui a forme de découverte. Je m'imaginais sans mal tomber sous le charme de ce roman d'aventure comme bon nombre de lecteurs avant moi, mais je ne pensais pas que cette « lecture de formation », ou devrais-je dire cette cristallisation annoncée, rejoindrait des préoccupations qui m'amenaient alors à fréquenter des figures ô combien moins solaires que celle du célèbre marin. En effet, je me passionnais (et me passionne toujours) pour ces personnages de fiction pris dans le labyrinthe de la Négation, et que l'on repère aisément une fois qu'on a pratiqué les plus connus, Bartleby le scribe en tête.
Il m'aura fallu le contexte d'une résidence d'artistes dans le Lot, pour que me vienne l'idée de mettre en relation la notion d'inertie - que j'ai véritablement repérée et pensée à partir d'un classique de la littérature russe du xixe : le fameux aristocrate oisif dépeint par Yvan Gontcharov dans son roman Oblomov - et les aventures d'un homme seul sur une île, dont l'existence repose paradoxalement sur des exigences de rendement et d'efficacité.
Cette situation exceptionnelle de trois mois dans le village des Arques, en compagnie de huit artistes, était finalement une nouvelle manière de mettre le mot inertie en état de « variation continue » et d'aborder, grâce à ce fantasme personnel, la création artistique sous les angles les plus variés et les plus variables, entre stérilité morne et puissance créatrice.
Ce livre s'est fait au retour de cette vie proche de la nature, avec en mémoire l'exposition qui en a découlé. Les images comme le texte restituent une partie de cette aventure humaine, le reste est dans les livres. Car, ce que ce livre accepte, c'est le fait qu'une aventure personnelle n'est jamais aussi personnelle qu'on le pense : il faut partager sans cesse et faire avec ce qui a déjà été dit, avec la pensée de Lane, de Thoreau, de Stevenson, avec le Robinson de Defoe, le Hans Castorp de Thomas Mann, L'homme qui dort de Perec, La princesse de Bourgogne de Gombrowicz et d'autres encore.
Cécilia Becanovic
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