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L’amour peut-il triompher de tout ? Si les romans nous conduisent, parfois, à penser que oui, la réalité est malheureusement beaucoup moins optimiste.
Pourtant, c’est un feu dévorant qui consume Arsim et Milos. Leur rencontre, un hasard, a la saveur d’une évidence.
Pourtant, rien ne peut-être simple entre eux. Ils sont homosexuels, ce qui doit rester un secret. L’un est marié, père de famille. L’autre est un étudiant en médecine. Arsim est albanais, et Milos, serbe, et le Kosovo s’embrase d’une guerre qui ne saurait les laisser indemnes.
Ce roman plonge le lecteur dans la vie, dans ses ratés, dans ces moments fugaces de bonheur, vite gâchés par l’homme, la société, la guerre.
C’est le récit des hommes qui, petit à petit, deviennent méchants, s’éloignant irrémédiablement de ce qui aurait pu être leur vie s’ils étaient nés ailleurs, à un autre moment, dans un autre pays.
L’auteur utilise le passé et le présent pour nous raconter cette mélancolie du temps qui passe, de ce qui ne peut être rattrapé. De cette lutte perdue d’avance.
Ce roman est très réussi. L’auteur nous dépeint avec brio la passion et l’égoïsme qu’elle comporte. Des souffrances causées à l’entourage, de la violence qu’ils doivent subir, victimes collatérales d’un bonheur gâché.
Une lecture exigeante et pesante mais qui m’a emporté, par sa noirceur.
« Bolla est une réalisation splendide, et Statovci un talent majeur »
New York Times
Vertigineux, sombre, terriblement humain, « Bolla » est d’une puissance inouïe. Pajtim Statovci est le maître en littérature.
Magnétique, solaire, viril, « Bolla » se lit en direct, sans recul, il le mérite.
« La première fois, je le vois traverser la route. Je suis assis à l’ombre en terrasse d’un café et il avance dans ma direction, le soleil dans la nuque, homme adulte dans un corps d’adolescent ».
L’écriture est dans cette orée où rien n’échappe au lecteur. La plongée dans une trame au réalisme fou. Tant le Kosovo coopère au tremblement, à l’émotion d’une contemporanéité hors norme.
Ils sont ici, en plein soleil. Arsim, albanais, le souffleur de cette histoire qui fait monter l’enchère. Miloš, serbe, étudiant en médecine à l’université de Pristina. L’attirance fébrile, envoûtante, la sensualité complice. L’immense trou noir qui les happe, l’aura sublimée. Voluptueux, pudiques, dans ce pays où le moindre écart est sens interdit. L’homosexualité bannie, le courroux des diktats, hommes incendiés, ils se savent.
« Cela semble naturel ; en anglais nous ne sommes pas albanais et serbe mais détachés d’ici, des pages arrachées à un roman ».
Arsim est marié. Ce dernier, quasiment arrangé, triste comme un lac gelé en pleine nuit noire. Il ne l’aime pas, même s’il sait sa beauté lumineuse et ses capacités de mimétisme sans faille.
« Alors je m’enfonce dans le chagrin et je comprends qu’elle est trop bien pour moi, pour vivre cette vie-là avec moi. Le pire est de savoir qu’Ajshe n’osera jamais me dire qu’elle voudrait vivre à l’encontre des décisions que je prends ».
Elle, soumise et effacée, intègre et ignorée du monde dans le plein jour où gravitent les opportunités et les hasards chanceux. Elle fait comme si. Nettoie sa maison comme si elle purifiait son propre corps. Ajshe, enceinte et abandonnée nuit et jour par Arsim dévoré d’amour pour Miloš, lui, qui croque des pommes à longueur de temps. Un rituel frugal, Bolla qui s’agite en lui. Se nourrir d’Arsim, lui offrit l’aérienne posture, la rectitude des rencontres où pas une minute n’est ignorée, où la cartographie des corps est réinventée à cris et à émois, à souffrances et à l’éclat de lumière. Ils vivent l’urgence de l’instant. L’architecture d’une relation qui se cogne comme un moustique sur une lampe brûlante. Ils pressentent que demain ne sera pas. Pas dans ce pays où le cosmopolite est du papier déchiré et de la poussière dans les yeux. Le kosovo, frères un jour, ennemis le lendemain. Le pain retiré aux enfants, les persiennes baissées, les méfiances et délations prêtes à mordre. « Bolla » le mythe, la légende albanaise, la parabole de l’étouffement. Les rêves peinture qui dégorge sous les pluies des impossibilités. L’averse des interdits. Ils sont le symbole des terres qui savent les lucidités dévorantes. Plus aucune vision, ni mirage, mais l’arme pointé sur l’amour. La guerre fraticide, le linceul noir sur les cœurs. Arsim s’enfuit avec Ajshe et leur enfant. Elle est de nouveau enceinte et il fait acte de devoir. Les ténèbres se révoltent. L’exil est un gouffre. Arsim et Miloš séparés, chemin de traverse. Bolla jubile, Bolla est machiavélique. Le récit est l’épreuve des peuples et des hommes. Des litanies noyées dans les boues intestines. Les désirs, les libertés, les choix sont des perles fracassées sur la terre. Rien ne résiste au champ de mine sur les consciences et l’appartenance à une ethnie à la vie à la mort. « Bolla » le choc d’un patriotisme qui pleure les siens sur les barbelés. « Bolla » l’homosexualité sublimée, charnelle dont on admire ses héros. Il y a le démoniaque d’un homme égaré dans ses limbes : Arsim. Miloš : fidèle à son pays, la Serbie, jusqu’au paroxysme. Ajshe : le délitement des résistances. « Bolla » est un grand livre, déchirant, fondamental. Un triptyque à plusieurs degrés. Dans un langage surdoué, hypnotique. Une lecture résolument poignante et magistrale. Traduit du finnois par Claire Saint-Germain, publié par les majeures Éditions Les Argonautes.
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