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La réédition de cette nouvelle de Stephen Crane fait écho à l’imposante biographie que consacrer Paul Auster à cet auteur américain mythique. Par son talent (peu connu en France) et son destin tragique d’artiste mort dans la fleur de l’âge, Stephen Crane est auréolé d’une réputation éclatante. L’Hôtel bleu est même considérée par Paul Auster comme l’un des chefs-d’œuvre de Crane et même l’une des plus belles nouvelles américaines jamais écrites. Je serai bien incapable de défendre cette place si prestigieuse mais plutôt disposé à exposer le combat mené et emporté par ce texte : la lutte contre le temps.
Plus d’un siècle après sa rédaction et sa publication, cette nouvelle captive encore et toujours. Ce qui intrigue le plus est ce mélange des genres. En quelques pages, l’auteur réunit dans un lieu impressionnant et angoissant des personnalités dont les caractéristiques, banales à première vue, s’amplifient à cause du contexte.
Cette nouvelle est un huis clos sous forme de poupées russes. La maison renferme un groupe d’hommes qui se comprennent peu ou pas, à cause de la langue et des comportements, et qui rapidement décident de s’occuper en jouant aux cartes. La maison encercle cinq hommes qui s’isolent dans une partie de cartes et s’individualisent dans leurs propres repères. Chacun est bien incapable de comprendre l’autre. On doute de l’identité précise, on connaît peu de noms. Seuls le propriétaire et son fils sont vraiment nommés, peut-être même est-ce la propriété de l’hôtel qui leur confère un statut social et une reconnaissance. Chacun est une figure dont le positionnement déplaît légèrement à l’autre. Cette inégalité est perceptible par quelques mots semés par l’auteur.
La nouvelle est donc un chemin semé de mystères, bientôt rongés par des peurs. La maison prend alors des airs de scène de meurtre. Ces tonalités sont ménagées subtilement par Stephen Crane qui use de l’humour pour décompresser un temps avant de plonger dans des parties de cartes sous haute tension. Celles-ci sont écrites comme des scènes de combat là où l’affrontement physique est un numéro de cirque. L’auteur ménage ses effets, n’appuie jamais sur l’évidence pour laisser se diffuser une menace que chaque lecteur·rice pensera réelle ou fantasmée.
La plupart des romans sur la guerre font des plans larges qui tentent de saisir la situation d'un conflit dans son ensemble. Stephen Crane lui a choisi de filmer en plan rapproché. Il suit le soldat.
Que pense-t-il? Que ressent-il? Que vit-il?
A travers un seul individu, Crâne montre la ligne ténue qui existe entre le courage et la lâcheté.
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Comme dans « Shiloh» de Shelby Foote (qui doit je pense beaucoup à Crane), le soldat se débat dans un chaos surréaliste qui provoque un torrent de réflexions intérieures en synchronicité dramatique avec le tourbillon de la bataille.
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Le pouvoir de ce roman de guerre n'est pas vraiment dans l'histoire, mais dans la façon dont elle est rendue.
Le stratagème de Crane consistant à n'utiliser que très rarement les noms des soldats et préférant parler du « jeune soldat », du « grand soldat », du « soldat à la voix forte », est redoutable d'efficacité pour souligner le fait qu'ils ne sont que des pions dans un jeu mortel initié par d'autres.
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Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l'écriture de Crane. Une écriture « à l'ancienne » qui fait de ce roman une lecture parfois exigeante mais de toute beauté.
Un grand classique américain remarquable de réalisme.
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Nouvelle traduction par Pierre Bondil et Johanne le Ray
Ce roman, paru en 1895, est considéré aux Etats-Unis comme un chef d'oeuvre, un roman pionnier qui a influencé toute une littérature classée « récits de guerre ». Il nous plonge en pleine guerre de Sécession, en 1863, lors de la bataille de Chancellorsville en Virginie, remportée par les Sudistes de Lee.
En 2019, il n'a rien perdu de sa force et m'a surpris par sa modernité. Plutôt que raconter la guerre en enchaînant les combats comme autant de morceaux de bravoure, Stephen Crane choisit de centrer son récit sur le point de vue d'un simple soldat, d'un jeune recrue ordinaire de 18 ans, Henry Fleming enrôlé volontaire dans un régiment nordiste. Tout est vu à travers son regard, le lecteur est plongé direct dans sa tête qui bouillonne d'émotions : ses espoirs naïfs de gloire avant de partir au front, ses interrogations sur le courage dont il sera capable de faire montre ou pas, son désespoir lorsque ses camarades meurent, sa honte d'avoir déserté, ce regain de courage irrationnel qui lui donne des ailes lorsqu'une blessure à la tête dans sa fuite le fait passer pour un héros, l'ivresse de l'héroïsme jusqu'à la perte de ses illusions finale. de cette grande acuité psychologique, nait une empathie totale à son égard.
Des émotions, mais aussi des sensations. On la vit, cette bataille, aux côtés de Henry. On entend, on voit le fracas des combats et on comprend ce qui meut ces soldats morts de trouille qui malgré tout y vont :
« Il fut soudain totalement libéré d'inquiétude à son propre égard et perdit de vue tout destin menaçant. Il n'était plus un homme mais un élément d'un tout. Il eut le sentiment que cette chose dont il faisait partie – un régiment, une armée, une cause ou un pays – était confrontée à une crise. Il était fondu à l'intérieur d'une personnalité collective dominée par un désir unique. Durant un bon moment, il n'aurait pu fuir davantage qu'un auriculaire ne peut se rebeller contre une main. (…) Il commença immédiatement à éprouver les effets de l'atmosphère guerrière : une transpiration brûlante, la sensation que ses globes oculaires allaient se fendre comme des pierres surchauffées. Un rugissement cuisant emplissait ses oreilles. »
Au-delà des ces descriptions très perspicaces et réalistes de la guerre, ce qui est également très moderne dans ce roman, c'est la mise en scène, cinématographique avant l'heure : l'écriture est en mouvement, plans larges, plans séquences, gros plans avec toujours une nature omniprésente et singulièrement présente dans ce récit de guerre. La portée en devient universelle.
« Quand une autre nuit survint, les colonnes de soldats, changées en lignes violettes, traversèrent successivement sur deux ponts flottants. Un feu aveuglant vinifiait les eaux du fleuve. Ses rayons, qui jouaient sur les masses mouvantes des troupes, faisaient jaillir d'ici et là de brefs reflets argent ou d'or. Sur l'autre rive, une succession de collines ombres et mystérieuses ondulaient sur fond du ciel. Les voix des insectes nocturnes chantaient solennellement. »
Un récit de guerre fort et intense tout autant qu'un récit psychologique initiatique original.
Paru dans d'autres traductions sous les noms de " La Conquête du courage " ou " L'Insigne du courage". L'Insigne rouge du courage est la traduction littérale du titre originel " The Red badge of courage".
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