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L'une des lectures qui m'a le plus marquée ces dernières années. Certes, la lecture est parfois un peu ardue. Certes, le procédé peut parfois sembler un peu artificiel. Certes, la conclusion peut vaguement décevoir. Mais, ces éventuels reproches ne sont rien face à la puissance et l'originalité du récit. Le style est vraiment unique et prenant. On en sort bouleversé. Une véritable claque.
Je ne sais pas trop quoi penser de ce roman. Si j'avais très envie de découvrir ce roman depuis sa sortie, j'avoue être dubitative maintenant que je referme la dernière page.
J'ai beaucoup aimé la plume de l'auteur. Ce roman est très bien écrit et très agréable à lire. Si j'ai trouvé le début long, le récit ayant du mal à se mettre en place, à partir du tiers je n'ai plus réussi à décrocher tellement j'avais hate de connaitre le dénouement de l'histoire.
La narration demande de la concentration et les différents fils de l'histoire se tissent doucement avant que l'on arrive à comprendre les digressions. Cette narration mélangeant plusieurs narrateurs et leurs époques, je l'ai déjà rencontré dans les romanas de Jaume Cabré. Ici cela m'a dérangé, j'ai mis du temps avant de comprendre les enjeux du dans le texte.
Une lecture en demi-teinte. Je comprends les commentaires positifs face à ce roman, mais aussi les commentaires négatifs.
Diegane est un jeune écrivain sénégalais étudiant à Paris. Il découvre par hasard un livre publié en 1938 par T. C. Elimane. Subjugué, il part en quête de cet auteur entouré de mystère, en France d’abord puis sur les terres africaines, en passant par Amsterdam et l’Amérique Latine.
Cette enquête pour retrouver le magnétique Elimane et son livre maudit, est menée comme un thriller mystique et envoutant, à travers les légendes africaines et les mystères de l’écriture. C’est un roman d’introspection pour Diegane, en quête de sens et de légitimité.
C’est aussi l’histoire d’un livre dans le livre, avec une mise en abîme dans laquelle l’auteur se livre à une réflexion profonde sur la place ambiguë de la littérature africaine d’aujourd’hui, dans laquelle subsiste les restes du colonialisme et qualifiée de « francophonie », lui préférant une littérature universelle et intemporelle.
Mohamed Mbougar Sarr possède une plume précise, envoutante et poétique. Le rythme du roman est riche et intense, labyrinthique, truffé de métaphores subtiles où chaque mot est à sa juste place. Ses réflexions sont profondes. J’ai eu la chance de le rencontrer lors d’une dédicace, et j’ai été attendrie par sa gentillesse et son humilité. Tant de talent, d’humour et de psychologie chez un si jeune auteur méritait bien le Prix Goncourt 2021. C’est un grand moment littéraire comme on en connait peu dans une vie.
Je termine ce roman comme je les termine finalement assez peu souvent : en admiration.
Je suis impressionnée par le travail de l’écriture, par la passion pour la littérature, par la construction de l’enquête, par l’existence et l’effacement des personnages, mais aussi par la hardiesse de l’écrivain.
Ce voyage littéraire allie avec force des éléments réels et fictionnels, à tel point qu’il nous pousse à un travail de vérification : T.C. Elimane a-t-il existé ? La frontière est mince. Mohamed Mbougar Sarr dédie en effet son livre à Yambo Ouologuem qui était un écrivain malien dont le roman Le Devoir de violence fut primé puis sous le feu des accusations de plagiat quelques années plus tard. Encensé puis muré dans le silence, tout comme T.C. Elimane suite à la publication de son œuvre Le Labyrinthe de l’inhumain.
Yambo Ouologuem, tombé dans l’oubli jusqu’à ce que Mohamed Mbougar Sarr écrive La plus secrète mémoire des hommes ; T.C. Elimane, tombé dans l’oubli jusqu’à ce que Diégane Latyr Faye soit pris de passion pour Le Labyrinthe de l’inhumain et décide de mener l’enquête sur l’auteur disparu brutalement et mystérieusement.
L’écriture est à la fois exigeante, crue, fluide, provocatrice, dénonciatrice, passionnée, puissante. Nous ressentons l’embrasement de l’esprit pour les mots mais aussi pour les grands sujets politiques et historiques quant à la place des africains en occident, et inversement, que ce soit en rapport à la colonisation, à la guerre mais aussi au monde littéraire. Du Sénégal à la France, en passant par l’Argentine, il est question d’exil et des difficultés à ne pas trahir les siens lorsque la passion devient dévorante et la quête primordiale.
L’écrivain lui-même est remis en question. Ainsi, l’abnégation dont il doit faire preuve est l’essence même de son existence. Écrire relève du dévouement le plus total autant que la lecture ne peut être qu’enfiévrée.
« Je me souviens d’un des nombreux dîners que nous avions passés en compagnie de son livre [celui de T.C. Elimane, Le Labyrinthe de l’inhumain, ndlr]. Au milieu des débats, Béatrice, la sensuelle et énergique Béatrice Nanga dont j’espérais qu’elle m’asphyxie un jour entre ses seins, avait dit toutes griffes dehors que les œuvres des vrais écrivains seules méritaient qu’on débatte à couteaux tirés, qu’elles seules échauffaient les sangs comme un alcool de race et que si, pour complaire à la mollesse d’un consensus invertébré, nous fuyions l’affrontement passionné qu’elles appelaient, nous ferions le déshonneur de la littérature. Un vrai écrivain, avait-elle ajouté, suscite des débats mortels chez les vrais lecteurs, qui sont toujours en guerre ; si vous n’êtes pas prêts à caner dans l’arène pour remporter sa dépouille comme au jeu du bouzkachi, foutez-moi le camp et allez mourir dans votre pissat tiède que vous prenez pour de la bière supérieure : vous êtes tout sauf un lecteur, et encore moins un écrivain. »
Nous nous laissons emporter dans le tourbillon de cette épopée intransigeante, mystique, cruelle et libertine au cœur de laquelle la vie et la mort sont étroitement liées. Jamais nous nous essoufflons de vouloir découvrir la vérité : pourquoi T.C. Elimane est-il resté silencieux après les accusations de plagiat à son encontre, et que lui est-il arrivé ensuite ? Quelle est la destinée de Diégane ?
« Le hasard n’est qu’un destin qu’on ignore. »
Nous continuons le périple sans jamais nous perdre, guidés par l’auteur mais jamais infantilisés.
Le pouvoir des mots prend ici tout son sens, il peut élever autant que détruire.
Le dénouement ne cède pas à la facilité, il nous laisse un sentiment d’accomplissement dans la pensée de l’auteur, ou peut-être est-ce seulement celle de son personnage. Les deux sont souvent étroitement liées mais est-ce si important de le savoir ? Mohamed Mbougar Sarr a offert son roman aux lecteurs, il leur a remis entre leurs mains et si la lecture s’avère puissante et acharnée, alors le but est atteint. Il ouvre les réflexions et les débats d’idées, il permet ce qu’un grand livre seul peut le faire : il passionne, il emporte, il écartèle, il coalise. Au grand jamais il ne laisse indifférent.
Sur mon blog : https://ducalmelucette.wordpress.com/2024/01/10/lecture-la-plus-secrete-memoire-des-hommes-de-mohamed-mbougar-sarr/
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