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Pour une maison d'édition qui se nomme Inculte, nous voilà avec un roman très riche en références littéraires, un narrateur pétri jusqu'aux oreilles des vies des auteurs qu'il a lus et relus, qui l'ont marqué et qui continuent de le poursuivre, tout fantômes qu'ils sont. Marin Mălaicu-Hondrari signe là un roman à vif, digne de quelques auteurs américains un peu borderline, à la Bukowski : son narrateur jonglant constamment entre les frontières, du légal et de l'illégal, de la vie et la mort, du trop ou de l'insuffisant, de l'excès – d'où lui vient cette envie urgente d'écrire un livre en une nuit – ou de l'absence, en marge de la société, stagnant dans une caravane bringuebalante. C'est un récit sur l'impuissance d'écrire, celui d'un road-trip pour tenter d'en venir à bout, alors que l'intention d'écrire un livre sur les suicidés bouillonne, là, en lui, alors qu'il ne cesse de pourchasser pour la dompter.
Le roman est court, même pas cent pages pour sept chapitres, pourtant, il est intense, il est touffu, il est dru et il est encombré de personnalités toutes plus prestigieuses les unes que les autres. Antonin Artaud, Virginia Woolf, Fernando Pessoa, Enrique Vila-Matas. Ce narrateur anonymisé et enfermé dans une solitude apparente est pourtant tout sauf seul : il est entouré de ses névroses, cette tentation de mettre fin à sa vie qui le démange, et de cette fascination pour les suicidés de la littérature. Accompagné de ces mêmes désespérés, accompagné d'Iris, soit à distance alors qu'elle est restée dans leur Roumanie natale, soit à ses côtés, dans ce Portugal échauffé, accompagné de sa Lexus, compagne d' errance, accompagné de ses amis, Rafael et Maria-Eugenia, accompagné de la dizaine de chiens de cette dernière. Toujours dans l'excès, ou le dénuement, pas de moyen terme.
Et derrière tout cela, tout ce petit monde d'excès, de pierres qui tirent par le fond, de cordes qui tirent par le bas, de poisons qui flinguent l'estomac, de foies cirrhosés, de flingues qui trouent la peau, il est à la recherche de ses intentions. Mais lesquelles, celles de la littérature, celle de la lecture sont là, quand bien même le verbe est pauvrement latinisé. Avant, c'est l'intention de l'écriture, l'intention de survivre, peut-être bien. D'écrire sur ceux qui n'ont pas survécu. Toujours sur le fil du rasoir, écrire ou vivre : écrire ce livre qui lui échappe, qui ironiquement a pris vie, dont il est à la poursuite, et qu'il écrit même dans les lignes de ce récit que nous lisons. Musée ou encyclopédie des suicides, c'est la foire à la mort, la fête au dépressif. Exit tout bon sentiment, jovialité, rire gras d'amitié, ce sont les atermoiements éternels, les ruminations sempiternelles, de la caravane au refuge de Cordoue. de Heinrich von Kleist à Kostas Karyotakis, morts d'une balle dans la poitrine, l'un et l'autre, la boucle est bouclée, voilà un texte qui ressemble à un véritable circuit touristique, une visite de ce monde merveilleux des femmes et hommes de lettre suicidés. le narrateur ne fait pas la fine bouche, il accepte tout, il apprécie tout.
Si parler de mort et de suicidés à longueur de pages peut paraître un brin morbide, ça ne l'est pourtant pas. La poésie du texte prend le pas sur le reste, la mort elle-même devient un motif récurrent, sublimé presque par le fait de devenir sujet d'un livre à venir, qui couve dans l'esprit du narrateur. La narration de Marin Mălaicu-Hondrari suggère cette tentation de la mort, réifie la tentation de l'écriture, elle prend consistance et forme. À chaque fois qu'il semble réussir à écrire, à recouvrer la possibilité d'écrire, celle-ci lui échappe des mains. Il poursuit alors cette urgence d'écrire, à travers l'Espagne et le Portugal. Marin Mălaicu-Hondrari est également poète et traducteur, il exerce ici son art de manier le mot, modeler la langue à l'envie, avec beaucoup de talent. Et pour reprendre la métaphore boulangère, il ne cesse de façonner son pain : s'il y a bien une fois où l'on peut dire que l'on savoure une oeuvre, phrase par phrase, image par image, c'est bien dans ce roman, traversé par l'aura de ses immenses figures littéraires. Chaque phrase a été aiguisée et polie, chaque mot a sa place, sa fonction. Rien d'inutile, de superflu. Au-delà de l'aspect poétique, où la sonorité de la langue s'allie avec sa vigueur, on peut d'ailleurs louer à cet effet le remarquable travail de traduction de Laure Hinckel, l'intensité de la langue de Marin Mălaicu-Hondrari est évidente : si l'esprit créateur du narrateur détone d'idées, si celles-ci s'envolent en une nuée d'éclats, les images qui s'imposent aux yeux du lecteur sont tout aussi foudroyantes, soudaines et puissantes, l'une balayant l'autre. Son écriture a incontestablement cet effet pyrotechnique qu'il évoque.
Que l'on apprécie, ou non, ce titre, et je comprends qu'une narration sans vraiment de noeud narratif très marqué puisse déconcerter, il faut tout de même souligner cette langue incroyable, qui sublime cette épopée cahotante à travers les affres de l'impossibilité d'écrire. On peut aussi se réjouir à la lecture des divers auteures et auteurs qui accompagnent le narrateur jusqu'au moment final, lequel, clôt comme il se doit ce récit étourdissant.
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