Un douloureux passage à l'âge adulte, entre sensibilité et horreur...
Voilà bien un roman mystérieux où la quatrième de couverture n’en dit que très peu (et c’est bien mieux ainsi !). Nous nous trouvons au XVIIème siècle, quelque part au Nord, sur le territoire encore sauvage, qui deviendra bien plus tard les Etats-Unis d’Amérique et ce, sous les affres d’un rigoureux hiver.
Au départ, une jeune fille court, fuit, vers la forêt. Mais que ou qui fuit-elle? Qui est-elle ? Pourquoi part-elle sans se retourner ? Bien des questions se présentent aux lecteurs qui s’aventurent eux aussi dans les pages de ce conte, un conte sauvage aux multiples facettes.
Au fil de l’histoire, c’est au gré des pas de la demoiselle – dont nous apprendrons son nom que bien plus tard – que les paysages sauvages se dévoilent avec ses dangers, tout comme les réponses à nos questions.
Orpheline, elle a été recueillie par l’asile des pauvres et affublée d’un étrange patronyme : Lamentations Meretrix. Une famille bourgeoise l’y en sort pour qu’elle devienne la nourrice de la petite fille limitée de la famille, Bess, et ce, avant que tout le monde traverse l’océan en quête d’un idéal. Vient ensuite, cette course effrénée, en solitaire, contre son destin, contre la violence des hommes.
« C’est une faute morale de manquer la beauté du monde. » Hymne à la beauté du monde et à ce qui nous entoure, ce roman est sublimé par la plume poétique de l’autrice, Lauren Groff. Le lecteur y ressent ainsi les dangers, les émotions, les conditions météorologiques, l’époque aussi, avec un vocabulaire emprunté à celle-ci. Mélange de conte d’apprentissage et de nature-writing, on y apprend la condition féminine durant ces temps rudes, la vie dans les premières colonies mais aussi les premières mises au ban des autochtones.
J’ai beaucoup apprécié cette fiction sauvage bien que noire. Car, malgré cette noirceur, il existe toujours un brin d’espoir qu’il ne faut pas laisser filer. Cinquième roman de cette autrice américaine, je me laisserai très certainement tenter pour découvrir toute l’étendue de son talent.
Lauren Groff nous offre un mélange de Nature Writting, de fiction historique, dans une Amérique encore sauvage et une forêt gelée, une colonie gangrenée par l’avidité des hommes, Lamentations Meretrix baptisée lorsqu'elle était trouvé par l'asile des pauvres de la paroisse lutte pour sa survie, la faim, le froid, la douleur et les souvenirs.
C'est l'histoire et le calvaire d’une jeune femme rendue à l’état de nature, Lamentations Meretrix refuse d'être le témoin active d'un monde pourrissant.
Lauren Groff nous embarque dans une fable pénétrante sur la tentative de trouver une nouvelle façon de vivre dans un monde succombant au turbulence du colonialisme, une aventure palpitante, sur fond d'Amérique en miniature. Une réflexion sur nos croyance, le sens de la vie, du courage lors d'un un combat effrayant et solitaire, une lecture sombre et vibrante.
"Car il n’y avait rien ici, pas d’anges, pas de harpes, pas de portes, pas de feux qui brûlent les péchés du pécheur, pas d’esprits affamés errant sur la terre et se tenant dans le froid à l’extérieur de la lumière du feu des vivants. Il n’y avait que le vent qui se traînait sans fin sur les sombres cimes des pins, sur la surface de l’eau, sur les pics glacés des montagnes, sur les grandes étendues dorées de la terre grouillante. Le vent passait, comme il passe maintenant, sur tous les gens qui se trouvent si émoussés par les soucis de leur propre corps et de leur propre faim qu’ils ne peuvent s’arrêter un instant pour sentir sa bonté lorsqu’il les effleure. "
Le roman de Lauren Groff, premier que je lis, est passionnant. L’autrice américaine nous embarque dans la fuite de cette jeune fille qu’on apprend à connaître. Révéler quelque chose d’elle serait trop dévoiler et amoindrir la relation qui naît entre le lecteur et ce personnage. Nous voyons à travers ses yeux, nous vibrons à travers ses sens. Elle est confrontée à des situations, à des environnements bruts et inconnus. Ce sont toutes les émotions de l’aventure qui naissent alors. La peur, le courage, l’audace, la surprise. Sans être basé sur des rebondissements récurrents, Les Terres indomptées est un livre qui repose sur l’apprentissage de soi et de ses capacités. On voit cette jeune fille grandir, prendre en assurance, retomber et se relever. Elle n’est pas une héroïne parce que Lauren Groff ne la met pas sur un piédestal. Elle garde une certaine distance avec elle, tant son passé, les raisons de sa fuite sont inconnus. Tout cela va s’éclaircir. Progressivement. Par bribes. On comprend d’où elle vient, ce qui a pesé sur elle, ce qui l’a animée. C’est un lot d’épreuves, matériels, sentimentales et sensibles.
En creux, par son âge et son dialogue avec sa conscience, Lauren Groff esquisse le tableau des Etats-Unis, territoire qui n’est pas encore une nation. Territoire où les langues, les cultures ne cohabitent plus mais s’affrontent. La confrontation, en sourdine parfois, est au coeur du livre. Entre les animaux et les hommes (les femmes sont reléguées au second plan). Entre les hommes et la religion. Les croyances sont ici un moyen d’imposer la parole de certains hommes. On discerne les prémices d’une hiérarchie sociale, ethnique et biologique s’installer. La jeune fille fuit, espérant se faire entendre par d’autres et pouvoir enfin exprimer sa voix.
De Marie de France, première femme de lettres occidentale à écrire en langue vulgaire, l’on ne connaît que les fables et les lais, de courts récits en vers qui rencontrèrent un vif succès lorsqu’elle les rédigea entre XII et XIIIe siècles. Parmi les hypothèses sur son identité oubliée, la romancière américaine Lauren Groff a choisi de retenir celle d’une fille naturelle de Geoffroy V d'Anjou. Elle lui prête un court passage par la Cour de son demi-frère Henri II Plantagenêt et de son épouse Aliénor d’Aquitaine, laquelle s’empresse, dans l’imagination de l’auteur, de la reléguer à ses dix-sept dans une abbaye anglaise qu’elle ne quittera plus. A son arrivée un lieu hostile et glacial où sévissent fièvres et « malefaim », le misérable couvent va progressivement devenir sous sa férule de prieure, puis d’abbesse aussi déterminée qu’ambitieuse, une matrice sûre et prospère à l’écart du monde ordinaire et violent des hommes.
« Si grande, [avec] des mains si larges, une voix si grave et un visage si peu féminin qu’il faut s’assurer que ce soit réellement une femme », qui plus est instruite – elle sait « gouverner un large domaine, écrire dans quatre langues, tenir un livre de comptes » –, indomptable, querelleuse et habile à l’épée, comment cette « créature dénuée de toute beauté, de toute féminité jusqu’en sa plus modeste manifestation » aurait-elle bien pu trouver un époux ? Ne reste donc plus que le couvent pour cette femme hors norme, qui, aimant les femmes et trouvant bientôt dans la clôture un espace de liberté où déployer son ambition, son intelligence et ses talents, va vite s’y imposer comme la « matrix », la mère supérieure en tous les domaines, libre-penseuse et de plus en plus investie de missions émancipatrices radicales – faisant fi de l’interdit papal jeté sur l’Angleterre en 1208, elle revêt les vêtements du prêtre pour dire la messe et donner les saints sacrements à ses sœurs –, mais aussi la mère protectrice d’une communauté féminine qu’elle n’hésite pas à armer et à mener au combat contre la violence et la convoitise des hommes, avant d’enceindre son abbaye d’un labyrinthe végétal propre à décourager toute intrusion.
Prenante, écrite et admirablement traduite dans une langue mariant modernité – on n’y compte plus les « sorceresse », « témoigneresse », « confesseresse », « prédécésseuse »… – et accents médiévaux latinisants, l’histoire apparaît bien vite comme la transposition utopique, dans une époque ancienne, d’un féminisme très actuel : une occasion pour l’auteur de rendre bien sûr hommage au courage et aux mérites des femmes dans leur combat contre le patriarcat, tout en interrogeant subtilement les tendances contemporaines les plus néo-féministes. Car, souvent admirable mais plein de contradictions, ses immenses capacités s’assortissant du même hybris que chez les hommes qu’il rejette, le personnage de Marie, étoffé et complexe, attire autant qu’il effraie, alors que son affirmation de femme instruite, indépendante et libre-penseuse se réalise dans l’exclusion totale, violente quand il le faut, des hommes, et par l’enfermement dans une communauté de femmes résolument à l’écart d’une société jugée irrémédiablement nocive.
Inspirée par une femme dont l’érudition et l’audace littéraire exceptionnelles pour son sexe et son époque restent par-delà les siècles les seuls indices de sa personnalité, Lauren Groff use finement de cette plongée historique pour questionner de manière sous-jacente les dérives féministes radicales et punitivistes contemporaines dans une fable écoféministe originale d’une grande richesse, tant dans la langue que dans la réflexion.
Il n'y a pas encore de discussion sur cet auteur
Soyez le premier à en lancer une !
Un douloureux passage à l'âge adulte, entre sensibilité et horreur...
Blanche vient de perdre son mari, Pierre, son autre elle-même. Un jour, elle rencontre Jules, un vieil homme amoureux des fleurs...
Des idées de lecture pour ce début d'année !
Si certaines sont impressionnantes et effrayantes, d'autres sont drôles et rassurantes !