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Bravo à Dimitri Kantcheloff qui a réussi avec brio la biographie de Vernon Sullivan, alias Boris Vian, homme multitâches qui a inventé bon nombre de pseudos, vécu mille vies en une et est mort beaucoup trop jeune mais nous a laissé une œuvre multiple .
Je pense avoir lu, dans ma jeunesse pratiquement tout ce qui sortait à son sujet, acheté tout ce qui était publié et j’ai dans ma bibliothèque « j’irai cracher sur vos tombes », un monument du pastiche américain, officiellement traduit par Boris Vian, officieusement écrit par lui dans l’objectif de se moquer de tous ceux qui lui avaient refusé la gloire pour ses propres livres !!
Réussite mitigée mais le scandale fait vendre et si ce n’est la gloire, du moins la richesse se glisse dans sa poche et celle de son éditeur jean d’Halluin.
Cette biographie est un régal à lire, nous avons la chance d’y retrouver certaines expressions d’alors, n’oublions pas nous sommes en 1946, les grands noms de la littérature et les « people » que l’on n’appelait aps ainsi, Sartre, de Beauvoir, Cocteau, Greco, tout ce beau monde réuni de nuit au « Tabou » jusqu’à l’aube .
L’ambiance de l’époque est parfaitement rendue, la vie dissolue de Vian également, puisqu’il sait qu’il va mourir jeune, il vit à 100 à l’heure et sa famille suit plus ou moins ; car il a une famille, un enfant, puis deux !!
Un vrai bonheur de revivre les journées et nuits creatrices de cet auteur dont les écrits ont ensoleillé ma jeunesse !
Boris Vian et son double
Dimitri Kantcheloff retrace la vie d'un auteur américain qui n'a jamais existé. Vernon Sullivan est l'invention de Boris Vian, mais cette création va faire bien des ravages dans la France de l'après-guerre. Il secoue le milieu littéraire et les pères la vertu. Et mange la vie de son créateur.
C'est l'histoire d'un employé de l’Office Professionnel des Industries et des Commerces du Papier et du Carton qui rêve de gloire. C'est l'histoire d'un écrivain sur lequel mise son éditeur, mais qui tarde à rencontrer le succès. C'est aussi le résultat d'un défi lancé un peu trop vite à Jean d'Halluin qui dirige les éditions du Scorpion, celui de lui écrire en dix jours le roman qui va s'arracher dans les librairies. Son idée? «Il suffirait, détaille-t-il d’un air docte, d'inventer de toutes pièces un auteur américain à scandale. Noir et alcoolique de préférence. Et victime de la censure de son pays, bien sûr. Admettons maintenant que ses textes — pleins de sexe et de violence —, à défaut de sortir aux États-Unis, trouvent en France un éditeur assez farfelu pour les publier. (...) Aux fins de parfaire le subterfuge et de ne négliger ni l’absurde ni l'ironie de la manœuvre, Boris, propose aussi d’endosser le rôle de traducteur.»
Voilà comment un jour de 1946 naît Vernon Sullivan. Et comment Boris Vian essaie de se relancer après les échecs commerciaux de se premiers livres parus chez Gallimard, Vercoquin et le Plancton et L’Écume des jours pour lequel il espérait la consécration d'un Prix littéraire qui ira finalement à un illustre inconnu.
Chose promise, chose due. En moins de deux semaines le manuscrit de J'irai cracher sur vos tombes est prêt.
Avec son éditeur, Jean d'Halluin, ils mettent tous les ingrédients nécessaires à faire le buzz, comme on ne disait pas encore à l’époque: «titre provocateur, omniprésence de violence, de beuveries et de pornographie, dénonciation des mœurs et du racisme de l’ Amérique — thème d'autant plus osé que les États-Unis, et ce malgré la ségrégation raciale, l’anticommunisme ou la pratique assumée de la censure, jouissent à cet instant précis de l'Histoire, faut-il le rappeler, de l’honneur d’avoir libéré la vieille Europe du joug nazi. Et pour ne rien gâcher, l’aura mystérieuse d’un auteur inconnu, impalpable, interdit.»
Les ventes sont pourtant assez décevantes. Mais c’est sans compter sur Daniel Parker. Le secrétaire général du Cartel d'Action Sociale et Morale entend faire interdire le livre en dénonçant l’outrage, les excès et la pornographie. Dès lors la presse va s’emparer de l’affaire et faire ses choux gras de ce combat, se ralliant en grande majorité à la thèse de la liberté d’expression de l’auteur et à la liberté des lecteurs de juger sur pièces.
Ce qu’ils vont faire avec voracité. Il faudra réimprimer. Déjà Vernon Sullivan s’attelle à un second roman.
C’est la fête à Saint-Germain-des-Prés. Aux côtés de Sartre et Beauvoir, mais aussi des zazous et des jazzmen, Boris Vian fête son succès, même si ses médecins lui ont conseillé de réfréner ses ardeurs en lui annonçant que son cœur ne tiendrait plus très longtemps le rythme endiablé qu’il lui impose. Face à cette dramatique échéance Boris Vian – et son double – fourmillent de projets. Des romans à écrire, des paroles de chanson, une adaptation au théâtre de J’irai cracher sur vos tombes, peut-être même un film. Et au milieu de cette effervescence, n’oublions pas le tribunal. Car Daniel Parker n’a pas renoncé à faire condamner ce Vernon Sullivan dont de plus en plus de critiques commencent à douter de l’existence.
Bien documenté, Dimitri Kantcheloff réussit fort bien à rendre l’ambiance de l’époque, allant jusqu’à utiliser le vocabulaire en usage durant ces années d’après-guerre, et à montrer combien la société aspirait à davantage de liberté. C’est sur des airs de Duke Ellington que se joue le drame de Boris Vian.
Inspiré par la trilogie biographique de Jean Echenoz avec Courir, consacré à Emil Zátopek, Ravel et Des éclairs, qui retrace le parcours de Nikola Tesla ainsi que par Les trois jours dans la vie de Paul Cézanne de Mika Biermann et aussi par le Limonov d’Emmanuel Carrère, cette biographie romancée confirme le talent de l’auteur après Supernova qui était paru en 2021.
https://urlz.fr/nFJn
Emballement médiatique et dérives de l'info en continu
Dans ce roman bien rythmé aux allures de polar sans en être un, deux thèmes forts sont traités: la Nature et le journalisme.
La Nature est incarnée ici, presque à elle seule, comme un personnage à part entière. Réduite de nos jours à son plus bref rapport au vu d'une civilisation de plus en plus citadine, la Nature tient peu de place. Plus le temps de l'observer, de l'admirer, de lui réserver la place majeure qui lui est dûe.
Charles vieux retraité décide de vivre reculé du monde en pleine nature, dans le sud de la France où il possède un mazet familial, afin de s'adonner à sa passion: contempler le ciel et les étoiles. C'est là qu'il découvre une supernova: l'explosion et la mort d'une étoile.
Aucun besoin de connaissances en astronomie pour se délecter de ce roman.
C'est la place et le rôle des journalistes de l'info en continu, face au scoop déclenché par cette nouvelle, qui sont au coeur de ce récit. On assiste, perplexe, à la mise en place d'une situation ubuesque où les journalistes dévoilent de viles pratiques. Et c'est Chloé, journaliste à l'AFP, qui va être le porte-drapeau de ce galvaudage. Malgré un portrait brossé d'une vie de divorcée avec deux enfants à charge pour subvenir aux besoins familiaux, rien ne vient cautionner certains actes. Quelques moments de réflexions font surgir en elle une forme d'humanisme, bien vite balayés par l'avidité du scoop.
Où se trouvent le sérieux et la rigueur des médias quand l'intrusif devient référence quels qu'en soient les procédés?
L'air de ne pas y toucher ce premier roman au titre trompeur - il ne s'agit nullement de science-fiction ou de voyage interstellaire - met le doigt sur l'un des questionnements les plus actuels pour l'espèce humaine. Rappelez-vous le premier confinement, le vrai. La vie qui s'arrête. Le calme, le chant des oiseaux dans les rues des villes désertées par les bruits habituels des activités quotidiennes. Des voix pour dire que le monde d'après serait différent... Bref. Nous n'en sommes plus là. Les seules aspirations des uns et des autres sont désormais de vite retrouver le bruit et la fureur, d'en finir avec ce (relatif) calme forcé. Pourtant, certains s'acharnent encore à préférer le calme et l'isolement à l'agitation de rigueur un peu partout. A leurs risques et périls.
C'est le cas de Charles qui a choisi un village reculé du sud de la France, une maison isolée pour passer tranquillement ses dernières années sur Terre après une vie dans ses entrailles à conduire des métros. Désormais, il a les yeux tournés vers le ciel et les étoiles. Il passe ses nuits à assouvir sa passion, rivé à son télescope. Jusqu'au jour où il découvre une supernova. Pour les novices, il s'agit de l'explosion d'une étoile en train de mourir. Celle-ci est spectaculaire, elle continue à briller en plein jour. Il n'en faut pas plus pour affoler les rédactions qui dépêchent leurs fins limiers pour tenter de dénicher la cachette de Charles et obtenir son témoignage. Parmi eux, Chloé, journaliste à l'AFP, d'habitude en charge des faits divers mais qui saisit l'opportunité de revenir sur les lieux de son enfance. Ancienne reporter de guerre, la jeune femme a vite fait de découvrir l'antre du vieil homme. Le face à face espéré vire à la traque dans des paysages grandioses auxquels Charles semble le seul à accorder de l'importance. La rencontre finale sera explosive.
Avec ce texte, l'auteur pointe du doigt l'absurdité de nos comportements. Pour cela il nous invite à nous remettre la tête dans les étoiles, à contempler notre insignifiance à l'échelle de l'univers. A méditer sur la vacuité de l'existence lorsque l'humain n'a plus conscience d'appartenir à un ensemble. Sur le vide sidéral qui préside à la folle course médiatique et toute l'arrogance de l'espèce humaine à consommer et jeter illico, y compris l'information. Dans ce texte s'opposent le bruit et le silence, la soumission invisible et le farouche désir liberté. Personnellement je suis chaque jour de plus en plus désespérée de constater à quel point il est difficile d'avoir la paix, de s'isoler dans un paysage, de fuir le bruit, de simplement contempler. Je me suis sentie en totale empathie avec Charles, vous voilà prévenus.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
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