Joëlle, lectrice assidue, nous explique pourquoi "Maria" d'Angélique Villeneuve est l'un des romans sur lesquels il faut compter en cette rentrée littéraire de janvier 2018.
Maria a cinquante-huit ans. Deux ans plus tôt, son deuxième petit-enfant est né, mais sa fille Céline et son gendre Thomas ont fait un choix de vie radical. Céline pratique l'école à la maison et intervient dans une association de parentalité nouvelle où elle conseille les parents qui veulent repenser leur façon d'élever leurs enfants. Fidèles à leur philosophie de vie, ils ont décidé de ne pas révéler le sexe de leur bébé qui portera un prénom non genré "Noun", Céline répond sereinement aux gens qui l'interrogent "c'est un bébé qui s'appelle Noun.". Ils considèrent que c'est l'enfant qui décidera lui-même plus tard le genre qu'il veut habiter. De la même façon Céline et Thomas ont autorisé leur fils ainé de trois ans, Marcus, à changer de prénom, il s'appelle désormais Pomme, porte des robes et affectionne le vernis à ongles.
Un bel amour fait de complicité et d'amour pour les oiseaux et les fleurs a toujours uni Maria et Marcus mais peu à peu Maria se retrouve évincée de la vie de sa fille, une distance s'installe insidieusement entre elles, elle se sent mise à l'écart depuis la naissance de Noun, sa fille ne la laisse jamais seule avec le bébé. Confrontée aux rumeurs et ragots, Maria voit sa vie se déliter avec le départ de William, son compagnon depuis des années, qui ne supporte pas la situation et son horizon se rétrécir encore plus lorsqu'elle perd son travail. " De quoi les mères sont-elles coupables ? Céline et Thomas avec leurs enfants pour otages légitimes, forment désormais un monde séparé du sien. Une île autonome."
Angélique Villeneuve met en scène une héroïne inoubliable qui va se battre seule contre tous, mais qui va aussi tenter de comprendre sa fille, s'interroger sur les stéréotypes de genre, repenser à l'éducation qu'elle a reçue très différente de celle de son frère... Elle est plus dans la nuance que William " qui voulait cantonner les gens à n'être que celui ou celle que leur sexe leur imposait d'être depuis la nuit des temps". Angélique Villeneuve reste toujours au plus près des sentiments de Maria, cette femme qui a toujours fait preuve de patience, de tolérance et de résignation, qui a su rentrer son dépit et sa colère mais qui va peut-être finir par changer...
" Car à force de Céline, à force de vie, Maria a mûri "
J'ai retrouvé dans ce roman l'écriture sensible et poétique d'Angélique Villeneuve, j'ai aimé la façon dont elle décrit avec une infinie délicatesse le moment où Maria, pour la première fois seule avec Noun, fait sa connaissance. J'ai aimé la personnalité qu'elle prête à Maria, une femme hypersensible aux couleurs et aux odeurs qui fait chanter les oiseaux et les couleurs.
Plus qu'un livre sur le genre j'ai vu ce roman comme le combat d'une femme rejetée par sa fille unique et mise à l'écart de ses petits-enfants, un livre sur l'amour absolu d'une grand mère pour ses petits enfants et sa fille par delà les conflits familiaux. Il est impossible de ne pas se mettre à la place de Maria, de se demander quelle attitude on aurait adoptée dans une telle situation de rupture familiale quelle qu'en soit la cause.
La question du genre et les positions extrémistes prises par Céline et Thomas servent de contexte pour justifier le délitement de la relation mère/fille mais ce contexte nous pousse aussi bien entendu à la réflexion sur la question du genre qui est ici traitée avec une infinie subtilité. J'ai aimé la poésie dont Angélique Villeneuve imprègne ce roman et la sublime fin qu'elle a imaginée. Ce roman est un condensé d'émotion que j'ai lu d'une traite, parfois le cœur serré, un texte que je suis certaine de relire un jour.
Un roman coup de cœur qui, selon moi, va compter dans cette rentrée littéraire.
Joëlle Guinard
Et vous, si vous deviez nous conseiller un roman de cette rentrée, ce serait lequel ?