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Interview de Maud Simonnot pour "L'Heure des oiseaux", roman pudique et bouleversant sur l'enfance et le secret

« Les enfants naturellement ont une confiance inconditionnelle envers les adultes »

Interview de Maud Simonnot pour "L'Heure des oiseaux", roman pudique et bouleversant sur l'enfance et le secret

L’Heure des oiseaux (ed. de l’Observatoire) est un grand livre de la rentrée, un bijou de délicatesse et de pertinence. Si l’identité est un thème brassé méticuleusement par l’actualité, c’est dans la fiction et dans l’histoire que Maud Simonnot a su en développer les enjeux et la sensibilité dans une immense pudeur. Partant d’un fait réel, elle tisse un roman incroyablement doux, fin et douloureux sur l’enfance et le secret, la conformité et la cruauté des adultes.
Maud Simonnot, qui est écrivain et éditrice, a accepté de parler de ce texte aux internautes de Lecteurs.com.

 

Entretien avec Maud Simonnot pour L'Heure des oiseaux :

- L’histoire est celle d’une jeune femme qui part sur l’île de Jersey pour se documenter sur un orphelinat. Que vient-elle chercher sur cette île ?

Cette jeune ornithologue vient à Jersey pour retrouver la trace d'une enfant appelée Lily, qui a disparu soixante ans auparavant, et qui est liée à l'histoire intime de son père.

 

- Cette enquête a-t-elle vraiment eu lieu ? C’est la part de littérature du réel de votre roman, quelle a été la vôtre ?

Cette enquête est totalement fictive puisque Lily est un personnage sorti de mon imagination, mais elle est émaillée de faits divers réels liés à une effroyable affaire de pédophilie dans un orphelinat de l'île, qui a donné lieu a un scandale médiatique dans le monde anglo-saxon en 2008.

 

- Il y a deux voix dans le livre, celui du présent de l’enquête, celle d’un enfant. De qui s‘agit-il ? 

Lily est une petite fille de 8 ans, que l'on va suivre durant quatre saisons tout au long de l'année 1959, dans son terrible quotidien à l'orphelinat mais aussi dans ses échappées belles dans la forêt voisine.

 

- Votre héroïne est ornithologue, pourquoi ce choix qui résonne avec le titre ?

Toute l'écriture du livre a été portée par cette phrase de René Char : "Au plus fort de l'orage il y a toujours un oiseau pour nous rassurer." Il fallait que le chant des oiseaux, leur liberté, soient un contrepoint à la cruauté de l'enfermement dans l'orphelinat. Et une ornithologue ou un père spécialiste d'Olivier Messiaen me permettaient d'un point de vue romanesque de déplier encore un peu plus mon amour pour les oiseaux.

 

- « Il faut apprendre à vivre contre les adultes », dit l’un des enfants dans le roman, c’est-à-dire ?

C'est-à-dire que la seule possibilité pour ces enfants abandonnés de s'en sortir c'est de s'entraider et de s'endurcir face à des adultes sinon coupables de maltraitance du moins tous coupables de lâcheté et de négligence. Les enfants naturellement ont une confiance inconditionnelle envers les adultes, mais les petites victimes de mon roman sont appelées à grandir malheureusement plus vite et à apprendre à se débrouiller seules.

 

« Les enfants qui souffrent le plus sont toujours ceux

qui échappent pour une raison ou une autre à la "norme" »

 

- L’histoire aborde aussi la question de la différence, qui amène des réactions violentes de rejet chez les protagonistes, davantage du côté des adultes. Pourquoi avoir choisi d’évoquer la question de l’identité, d’une part, et surtout sous cet aspect ? 

Ce qu'on remarque dans les études sur les orphelins et les enfants placés dans ces institutions comme dans les pensionnats ou dans la société de manière plus générale est que les enfants qui souffrent le plus sont toujours ceux qui échappent pour une raison ou une autre à la "norme". J'avais donc à cœur que Lily soit une enfant un peu "différente", et par ailleurs toute la question de son identité est essentielle à l'intrigue que j'ai voulue un peu policière, elle engendre un dernier rebondissement dans le scénario.

 

- Vous évoquez la part manquante de l’enfance dans la vie de ceux qui ont subi des traumatismes dans le jeune âge. Vous évoquez même une sorte de condamnation à vivre sa vie en surface. Pourriez-vous développer cette idée ? 

Même si heureusement il est possible d'avoir une vie heureuse alors qu'on ne sait pas d'où l'on vient ou qu'une partie de notre histoire a été occultée, je crois que comme le dit Colette tout le monde a une mémoire, et que celle liée à l'enfance est essentielle pour se construire.

 

- Quelle a été votre documentation sur le sujet des violences faites aux enfants ?

J'ai lu beaucoup de livres sur le sujet de la pédophilie, mais aussi des témoignages d'anciens pensionnaires d'orphelinat, notamment en Angleterre, certaines références liées à Jersey sont à la fin de mon roman.

 

- L’écriture sur un tel sujet requiert quel type de narration, comment éviter les clichés, le pathos chez le lecteur et susciter, comme vous le faites, la réflexion à travers le bouleversement ?

Tout tient sur un fil, on ne veut pas éluder l'horreur mais ne pas non plus sembler se complaire dans des descriptions trop détaillées... Il m'a semblé que tout le monde pouvait se faire une idée des situations que j'évoquais et mon choix a été de raconter sobrement sans rien omettre mais en tentant toujours de montrer aussi la beauté de certaines relations, la tendresse, l'espoir qui survit.

 

- « La mémoire se conforme à ce que nous croyons nous rappeler, on ne peut pas davantage se fier à nos souvenirs qu’à notre imagination », exprime l’un des personnages du livre (l’institutrice). Est-ce un point de vue radicalement pessimiste sur la recherche de vérité, ou une façon de donner du sens au geste de la fiction ?

C'est un point de vue radicalement réaliste : de même que la grande Histoire n'est le fruit que de la recherche des historiens, et donc susceptible d'évoluer à chaque (re)découverte, les histoires personnelles sont constituées de souvenirs plus ou moins nets et de ce qui a été dit ou écrit, c'est donc forcément parcellaire, flou, mouvant...`

 

- Votre livre, qui passe la douleur par le tamis de la poésie, amène régulièrement un mot dans vos phrases, l’aube. Est-ce une manière d’éclairer l’histoire par la lueur des commencements et donc de l’espérance ?

A la fin de la pire des nuits, il y aura toujours une aube...

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

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