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Interview de Thomas Hayman et Baptiste Chaubard pour "Idéal", un des titres majeurs de l'année 2024

"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"

Interview de Thomas Hayman et Baptiste Chaubard pour "Idéal", un des titres majeurs de l'année 2024

Pour leur premier album, Thomas Hayman et Baptiste Chaubard ont réussi un coup de maître qui aura marqué cette année 2024. Idéal (ed. Sarbacane) est un titre à part, atmosphérique et fascinant, qui nous plonge dans un Japon fantasmé, entre anticipation et tradition.

Anne-Laure (alias BD.otaku), ancienne jurée du Prix Orange de la BD et qui officie sur l’excellent site Bulles de Dupondt, a eu la chance d’échanger avec les deux auteurs et nous fait la joie de partager ici des extraits de cet entretien.

 

- Baptiste, vous êtes libraire et Thomas, illustrateur. Qu'est-ce qui vous a amenés à la BD ?

TH : En fait, je dessine depuis tout petit. J'ai fait des études d'art assez tôt et je me souviens que quand j'étais pré-ado, j'étais déjà dans un club de BD. Je pense que c'est quelque chose qui m'a toujours intéressé de près ou de loin. Et j'avais réalisé aussi, pendant mes études de bande dessinée, une sur mes grands-parents durant la 2nde Guerre mondiale et une autre qui était plus humoristique.

Je gravitais autour de ce domaine-là, mais je n'étais pas sûr de vouloir en faire mon métier. Et puis je ne le voyais pas vraiment comme une possibilité. Je suis passé par plusieurs étapes : je suis devenu motion designer, puis illustrateur, et finalement, de fil en aiguille, je me suis dit qu’en fait, j'avais envie de retourner à la bande dessinée.

BC : Alors moi, ce qui m'a amené à la BD, c'est Thomas !  J'ai été libraire, je ne le suis plus, mais j'ai été libraire pendant pratiquement huit ans dans une librairie généraliste. Je m’occupais de la littérature étrangère principalement. Je n'avais aucune prétention à faire de la BD.

J'écrivais un peu de mon côté et j'avais cherché quelqu'un pour illustrer ce que j'écrivais, mais c'était vraiment du domaine du privé. Ce n’était pas pour faire de projets professionnels. On s'est rencontré comme ça : Thomas a illustré ce que j'écrivais, puis on ne s'est pas reparlé pendant peut-être un an et c'est lui qui est revenu vers moi en me disant : « Voilà, je me lance, j'aimerais faire une BD, j'avais bien aimé ce que tu avais écrit, est ce que tu as des scénarios ?  À partir de là, on s'est écrit, je lui ai proposé des idées et on est partis sur un projet ensemble.

 

- Et pour quelle raison avez-vous décidé de situer l'action d’Idéal au Japon ?

BC : Les thématiques de la BD tournent beaucoup autour du lien entre tradition et modernité, conservatisme et progressisme, et un jeu de dualité entre des pôles qui s'opposent.  Et on s’est dit : « Voilà ça ce sont les thèmes de notre BD, est-ce que le Japon ne serait pas le meilleur endroit pour insérer notre intrigue ? »

Le Japon, c'est un peu un imaginaire figuratif. Quand on pense au Japon, nous en tant qu’Occidentaux, on le perçoit comme un pays extrêmement moderne, très en avance sur certaines technologies et à la fois traditionaliste, conservateur dans l'architecture, dans ses coutumes ou les vêtements. On s’est dit : « En fait, c'est bien, on a notre tension. C'est un cadre « idéal » pour faire notre BD ! »

 

- Il y a de nombreuses pages, voire séquences muettes dans votre album, dont la fameuse séquence d'ouverture, un acte d'exposition de 36 pages. Pourquoi ce parti pris ?

TH : En fait, ce devait être une simple introduction de quelques pages que Baptiste avait écrite, qui devait peut-être durer entre 5 et 10 pages. Et ça a été un peu mon choix de l'étendre pendant plus de 30 pages pour vraiment amener une espèce de lenteur au récit et qu'on ait le temps d'appréhender les personnages, de les comprendre et de les voir se mouvoir aussi dans ce paysage et du coup, de les comprendre avant de les entendre.

 

- Il n’y a pas eu de veto de la part de l’éditeur ?

TH : Non, il n'y a pas eu de veto en fait ! Ce qu'on leur a envoyé comme dossier de présentation c'étaient les 30 premières pages muettes, plus une page de dialogues. Donc ça les a happés, ils ont aimé l'ambiance … et voilà !

 

  

 

- Votre roman est économe en dialogues ; chaque mot compte et parmi eux, les prénoms des personnages sont importants. Vous avez joué avec l'onomastique, (c’est-à-dire la signification des noms). Est-ce que vous pouvez nous expliquer la symbolique de des noms choisis, y compris celui de l'île ?

BC : Pour la symbolique des noms, il y avait « Hélène » :  c'est Hélène de Troie qui est amenée dans une citadelle qui est loin de chez elle ; c'est L'Étrangère dans la citadelle. Ensuite, il y a « Edo », il a son intrigue à lui, mais son prénom c'est un clin d'œil à la période d'Edo. Dans mes souvenirs, c'est la période qui va de 1600 à 1868 au cours de laquelle le Japon referme ses frontières et ils n'auront plus relations avec l’étranger (même s’ils vont quand même garder un certain commerce avec les Hollandais et les Portugais). Et après ça va être « Kaï » le nom du robot qui en fait veut dire « coquille ».

 

- Et le nom de l’île ?

BC : Alors l'île de Kino, la véritable histoire, c'est qu'en fait il y a un roman de Steinbeck que j'aime beaucoup, qui s'appelle La Perle et ça se passe sur Je crois sur l'île de Kino. Si je me trompe, c'est par rapport au roman de Steinbeck ou ça n'a rien à voir. Ce n'est pas du tout une ile qui existerait quelque part !

 

- Vous diriez que Idéal, c'est plutôt une dystopie, ou plutôt un film à la Bergman sur la déliquescence du sentiment amoureux ?

BC : Je dirais la deuxième. Complètement, parce que, en réalité, dystopie ? Pas vraiment ! Parce que pour ceux qui n’ont pas lu la BD, l'histoire se déroule à un moment ou le Japon se referme, referme ses frontières au monde pour préserver ses traditions, ses valeurs et aussi refouler l'immigration. C'est déjà arrivé dans la période d'Edo, d’où le nom du personnage masculin. En réalité, il y a une sorte d'impermanence des choses. Ce n’est pas du tout une dystopie, on n'est pas dans le futurisme ; moi, j'appelle ça un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique ! On est vraiment plutôt dans les affects, les émotions et l'histoire d'un couple … Un couple qui vieillit et qui va rentrer dans certaines compromissions pour essayer de s'en sortir.

 

- Mais il y a des problématiques actuelles résurgentes : l'ultranationalisme, les problématiques écologiques aussi et le transhumanisme quand même.

TH : Actuellement, on est presque dans une dystopie. En fait, c’est tellement proche de nous qu'on y est presque :  on parle d'un futur qui n’est vraiment pas très loin…

 

Un grand merci à Anne-Laure pour cet échange passionnant.

Rendez-vous Bulles de Dupondt pour lire l'entretien complet dans quelques jours, et découvrir dès maintenant de nombreuses autres chroniques et interviews.

 

 

Photos © Editions Sarbacane

 

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