Depuis 1975, Fluide Glacial incarne un état d’esprit unique dans le monde de la BD, porté par plusieurs générations de dessinateurs aussi géniaux qu’impertinents. Pour célébrer ce demi-siècle, le magazine a eu la bonne idée de démarrer les festivités un poil en avance avec le magnifique Fluide glacial : 50 ans de couvertures, déjà disponible et qui se glissera avec bonheur au pied de votre sapin.
L’occasion pour nous de poser quelques questions à l’ancien rédac’chef Jean-Christophe Delpierre qui nous fait la joie de nous éclairer sur cet album… et sur ces cinq décennies de folie !
Entretien avec Jean-Christophe Delpierre : "Nous préservons un îlot très rare et précieux où ne règnent que l’humour et la bande dessinée."
- Joyeux anniversaire (avec un peu d’avance) ! On va commencer par vous flatter un peu : malgré les centaines de couvertures publiées, Fluide Glacial ne fait décidément pas ses 50 ans. Quel est le secret de cette éternelle jeunesse ?
Jean-Christophe Delpierre : Fluide Glacial n’ayant jamais traité de sujets d’actualité, n’ayant pas suivi la mode, n’est donc jamais démodé. Le temps n’a pas de prise sur le dessin de Gotlib, de Goossens ou de Maëster. La première couverture publiée par Edika en 1981 pourrait paraître aujourd’hui, elle ne serait ni décalée, ni vieillie, ni marquée par les années. Elle est aussi drôle qu’il y a 45 ans !
La fidélité exigeante de nos lecteurs nous oblige depuis 50 ans à être fidèles aux principes fondateurs, dont le principal est de vivre sans aucune page de publicité.
Nos lecteurs sont très sensibles à cette liberté de ton que cela permet, sans limites ni interdits.
- En parcourant l’album, on est frappé par l’avalanche de grands noms qui ont fait l’histoire du magazine. Comment avez-vous fait pour mettre un peu d’ordre dans tout ça et concevoir cet ouvrage ?
JCD : Les 700 couvertures parues en 50 ans sont toutes dans l’album, rangées par décennies pour les retrouver facilement. Nous en avons choisi 50, une par an, pour raconter l’histoire du magazine. Le choix fut difficile, car les critères étaient nombreux : montrer la diversité des auteurs, des styles de dessin, des sortes d’humour, et faire resurgir les couvertures les plus marquantes (Tintin qui se pique, Sœur Marie-Thérèse et son Christ gonflable, et d’autres aussi célèbres…).
Pour des fans de Fluide Glacial, c’est un régal de retrouver ces couvertures qui les ont fait rire, et pour un nouveau lecteur, c’est une mine de découvertes incroyables.
- Depuis 1975, Fluide Glacial a joué un très grand rôle de découvreur de talents du 9e art, de révélateur. Pouvez-vous nous expliquer comment cela a fonctionné et fonctionne encore ? Comment ces dessinateurs ou dessinatrices débutants se font-ils une place dans vos pages ?
JCD : Tout a commencé avec Gotlib, qui a tout simplement invité ses copains à le rejoindre en 1975 dans un magazine libre où ils pourraient faire ce qu’ils voudraient. Au cours des années, certains sont partis, d’autres sont arrivés, mais l’esprit « bande de copains » a subsisté. Nos lecteurs aiment ce sentiment d’appartenir eux-mêmes à cette bande de joyeux drilles dont ils se sentent complices. Fluide Glacial reste un phare, un rêve que beaucoup de jeunes talents qui nous envoient leurs histoires veulent atteindre. Parfois ce sont des « anciens » qui parrainent des jeunes. En général, la mayonnaise au goût potache prend vite avec l’équipe, qui se renouvelle en permanence tout en restant fidèle à ceux qui sont là depuis le début (Binet, Goossens, Edika, Solé, Boucq…).
- Fluide Glacial n’a jamais renoncé à sa liberté de ton dans l’humour, mais on qualifiera le contextuel actuel de… « crispé ». Est-ce que cela rentre en ligne de compte chez Fluide ?
JCD : Fluide Glacial a toujours été plus ou moins surveillé par la censure mais jamais condamné. Et pourtant…
Mais notre force est de ne jamais faire de politique, ni de combat idéologique ou moral. Nous ne donnons pas de leçons ni d’opinions. Et surtout il n’y a jamais de méchanceté chez nous. Nous préservons un îlot très rare et précieux où ne règnent que l’humour et la bande dessinée.
- On est très impatient de découvrir les couvertures qui nous attendent pour les 50 prochaines années. Mais entre nous et en avant-première mondiale, quels sont les futurs grands noms de la BD humoristique ?
JCD : Même dans le futur, Gotlib restera toujours un grand nom de la BD d’humour, car il a vraiment inventé un style, un genre, un état d’esprit qui se renouvelle au fur et à mesure que des nouveaux talents apparaissent et s’en inspirent. Sinon, pour connaître les futurs grands noms, il suffit de prendre les derniers numéros de Fluide, car ils et elles y sont, comme Reuzé, L’Abbé, Mab…
Propos recueillis par Nicolas Zwirn