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Dans un quartier huppé de Tokyo, Nishikata, Kasuko, jeune femme de vingt-neuf ans vit avec sa mère. Le père est décédé depuis une dizaine d’année et le frère, Naoji, est à la guerre.
Kasuko nous raconte les bouleversements de la société nippone après la guerre, qui a tout dévasté. Les valeurs ont changé, il faut s’adapter coûte que coûte. Mais comment faire face, quand on a eu une vie protégée ?
Les changements ne sont pas seulement matériels.
« Ma mère ne m’avait jamais, au grand jamais, parlé de sa détresse jusqu’à ce jour ; et ces violents sanglots étaient un spectacle qu’elle ne m’avait jamais encore donné. Ni lorsque mon père était mort, ni lorsque je m’étais marié, ni lorsque j’étais revenue enceinte chez ma mère, ni lorsque j’avais à l’hôpital mis au monde un enfant mort-né, ni, lorsque moi-même malade, je m’étais alitée, ni non plus lorsque Naoji s’était mal conduit…non, jamais ma mère n’avait laissé voir une telle détresse. »
Ces deux femmes, enfermées dans une relation silencieuse, vont devoir tout quitter pour s’installer à Izu, dans une propriété à la campagne. C’est l’exil.
Kasuko, montre les fissures créées par ces changements par un attachement obsessionnel à des détails : des œufs de serpent brûlés, un feu déclenché par des braises mal éteintes, qu’elle rattache à la dégradation qu’elle observe chez sa mère. Et en même temps, le concept de devoir et d’honneur perdure : « A l’heure qu’il est, appartenir à la famille impériale ou à la noblesse, ce n’est plus ce que c’était ; et pourtant, si cela doit périr, j’ose le dire : périssons en beauté. »
Concernant Naoji, il est vivant mais il est retourné à son addiction : l’opium.
En conséquence Kasuko se voit assigner par son oncle Wada la tâche de se trouver un nouveau mari ou « travailler » mais selon un critère restrictif, question d’honneur et pour alléger les charges de l’oncle. Elle est piégée et va se révoltée contre ce diktat afin de trouver sa liberté.
Eclate enfin ce qui était tu et insupportable pour Kazuko : « Et vous, quand vous apprenez que Naoji va venir, me voilà tout d’un coup devenue pour vous un fardeau, et vous me dites d’aller me placer comme domestique dans une grande famille ! Trop, c’est trop ! »
Naoji va plonger le lecteur dans les affres de la création, écrivain conscient d’avoir du génie mais pas de reconnaissance et la dichotomie entre ce qu’il veut exprimer et ses écrits…
Une conscience prégnante que le suicide sera sa seule issue honorable (l’auteur s’est suicidé avec sa compagne à l’âge de trente-neuf ans).
« Pour un homme il est impossible de continuer à vivre sans se dire des choses telles que : je suis un être d’élite. »
J’ai aimé ce roman pour cette originale étrangeté qui pour moi préfigure une belle réflexion sur le monde et donne des clefs sur l’évolution de ce pays.
Une écriture double, féminine et masculine qui nous fait passer par différentes phases, de l’empathie à la distanciation, cet effet yo-yo qui nous garde en éveil sur un propos aussi profond que le style est fluide.
La noirceur que l’on met en exergue chez cet auteur me semble exagérée, elle me parait mâtiner de lucidité, que chacun choisit d’affronter ou non.
Oui le nihilisme de Dazai Osamu – Naoji est omniprésent mais la lumière est donnée à travers cette voix de femme qu’est Kazuko, c’est d’une force incroyable, car elle montre qu’après l’effondrement des valeurs qui suit la défaite du Japon en 1945, un pays qui voit tout disparaitre a tout à reconstruire. Qui mieux qu’une femme, qui s’est vu attribuer des rôles sans que la société ne s’interroge sur leur bien-fondé, peut relever les défis comme le déclassement et ses corollaires, le désespoir d’un monde qui sombre…interdite de séjour ou en exil dans sa propre société, elle ne peut qu’être l’étendard de la révolte nécessaire à la Vie. L’auteur est très original dans cette démarche et par son écriture qui sait se faire féminine quand c’est nécessaire, il montre un aspect qui caractérise le Japon à cette période mais va au-delà des frontières.
Au vu de ce qui se passe dans le monde actuel, certaines voix de femmes portent des révoltes salvatrices.
Si ce livre date de 1947, il reste sur une réflexion universelle et donne sens à la belle littérature, celle qui demande une lecture exigeante comme la vie.
Merci à Masse critique Babelio et aux éditions Les Belles Lettres.
Chantal Lafon-Litteratum Amor 21 octobre 2017.
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