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" On a le devoir d'aimer ses enfants, mais pas celui d'aimer ses parents. " De sa mère, Anne B. Ragde a toujours fait un personnage de roman. De ses romans. Pour le plaisir, plus ou moins assumé, de l'intéressée... Aujourd'hui que Birte vit ses derniers mois, allant de lit d'hôpital en rendez-vous médicaux, sa fille n'a plus le choix : fini la mise à distance romanesque. La preuve d'amour, la seule, la vraie, ce sera de raconter sa mère, sans fard, sans pseudonyme. Une femme kaléidoscope, une Majesté du quotidien, capable d'élever seule ses filles, dans le dénuement et l'adoration des belles choses, de créer un festin à partir d'un fond de frigo, de tuer pour un livre ou un tableau de Chagall... Peu encline aux tendresses, certes, mais l'inspiratrice d'une vie, la matrice d'une oeuvre.
Riche de cette relation patchwork, la fille fait de la mère un portrait doux-amer. Avec sa part d'ombre. Et son lot de lumière.
Anne B. Ragde, auteure norvégienne à succès, est en pleine recherche pour son prochain livre quand sa mère tombe malade. Les longs voyages de Trondheim, où elle vit, à Oslo, où sa mère réside, la conduisent à délaisser sa documentation et son roman naissant pour, finalement, faire germer l'idée d'un livre sur Birte, sa mère qui se meurt. Déjà évoquée dans La tour d'arsenic et dans Je m'appelle Lotte et j'ai huit ans, Birte devient donc le personnage central de ''Sa majesté maman'', l'histoire d'une mère, d'une femme, d'une vie.
Si Anne B. Ragde dénonce le système de santé norvégien, sans doute pour se soulager de l'impuissance ressentie en voyant sa mère si mal traitée par l'hôpital, son livre est avant tout une déclaration d'amour à la femme qui l'a mise au monde.
Divorcée et sans le sou, Birte a élevé ses deux filles sans se laisser abattre faisant un festin d'un reste de nourriture, s'abreuvant de lectures, d'échanges, de voyages pour se cultiver rester vivante. Elle savait aussi se montrer dure, ne possédant ni les gestes, ni les mots de l'amour maternel, pourtant elle était prête à tous les sacrifices pour ses enfants, n'hésitant pas, par exemple, à s'endetter lourdement pour payer le mariage d'Anne.
Au fil des souvenirs, se dessine une femme ambiguë, secrète, à la fois excentrique et soucieuse des convenances. Sa fille la décrit dans ses contradictions, sa force et ses faiblesses, sans l'idéaliser et sans s'épargner elle-même. Car Anne a parfois eu honte de cette mère qui sortait des clous. Elle s'est aussi montrée ingrate et égoïste même si, plus tard, elle a tenté de rattraper ses erreurs.
Cette relation mère / fille très personnelle devient universelle puisque chacun peut y trouver des moments partagés, des sentiments, des situations vécues. Birte y tient le rôle-titre, lumineuse, indocile, attachante. Un bel hommage, fort et pudique.
Anne B. Ragde qui dissèque à pleines dents la famille dans ses romans, et qui a souvent mis en scène sa mère, autopsie cette relation mère-fille.
Une femme haute en couleurs, qui a élevé seule ses enfants avec peu d'argent, de temps, de câlins mais toujours en donnant l'essentiel à ses yeux, une bonne nourriture, la transmission d'une certaine culture, celle des livres et des arts. Des poètes aux œuvres de Chagall, elle a rempli sa vie de cette beauté là.
Lorsque la vie décline et que les forces ne sont plus là au quotidien pour vivre la journée qui vient et qu'il faut affronter plus que vivre, l'heure du bilan sonne pour la mère et la fille.
D'une écriture puissante et sensible la narration nous entraîne dans les arcanes d'une relation qui s'est faite avec les forces et les faiblesses de chacune.
Brite a élevé ses deux filles seules, après une enfance ravageuse. Son amour elle n'a pu l'exprimer que par les soins du quotidien qu'elle payait au prix fort sans jamais rechigner sur le travail supplémentaire à accomplir. Avec des petits rien elle faisait des mets de rois non de "reines" pour ses filles. Les mots et gestes tendres elle ne savait pas, elle ne les avait pas eu donc ils ne faisaient pas partie de son bagage affectif.
Maîtresse femme, lucide, franche, volontaire, elle avançait avec une assurance que le quotidien lui imposait, car comme pour cette génération en particulier, la fierté de payer son loyer, ses factures ne rien devoir et se contenter de ce que l'on a sans jamais envier son voisin, était une ligne de conduite.
Elle n'était pas dépourvue de fantaisie, elle pouvait partir en voyage, car curieuse de tout, ayant appris l'arabe avec un étudiant du quartier contre des repas chauds et des conversations, elle était attentive et accueillante pour tous ceux qu'elle trouvait plus démunis qu'elle.
Grande lectrice, elle s'était constitué une belle culture où l'échange et le partage régnaient.
Mais lorsque l'heure sonne, elle veut se faire connaître, entre confidences, réminiscences Brite dit ceci à sa fille: "la seule chose que je veux, c'est parler, parler, parler,je veux que les choses sortent et non plus qu'elles rentrent."
Anne, la fille, doit faire face à une prise en charge difficile avec les lieux de soins, maison de retraite et autres tracasseries où l'on voit son parent disparaître dans l'anonymat et que l'on est impuissant face au système.
Un seul objectif tout faire pour que cela se passe du mieux possible.
Pas facile, la maman a toujours peur d'être un fardeau, comme avant la maladie quand sa fille l'emmenait en voyage, en trichant sur le coût pour que sa maman puisse profiter et se faire de beaux souvenirs.
Brite est fière elle sait que sa fille va écrire un livre sur elle ; avec son vrai prénom.
Anne se pose la question de savoir si elle a aimé sa maman, personnellement je lui répondrais avec assurance qu'elle a fait comme sa maman ce qu'elle a pu comme elle a pu. Il n'y a pas d'apprentissage pour ce rôle. Chacun fait "comme il peut" avec les cartes qui lui sont distribuées.
Ce requiem athée est d'une beauté toute nue, l'auteur ne maquille pas la réalité. La construction du livre laisse une part léonine à sa maman vivante.
Anne dit : " Les lubies de maman me rendaient folle, et je regrettais de ne pas avoir une mère banale, au format A4 en somme."
Du personnel Anne Birkefeldt Ragde fait un livre universel où le lecteur cheminera en transposant ses propres souvenirs sans se perdre dans leur histoire.
L'écriture est majestueuse et généreuse et je reste persuadée qu'une maman "format A4" n'aurait pas pu offrir au lecteur cette vérité là.
Comme l'auteur, la lectrice que je suis, veut laisser la parole à Birte, elle disait ceci de la lecture : "N'est-ce pas extraordinaire qu'on se projette autant dans l'histoire ? Seule la grande littérature est capable de ce tour de force, Anne. Souviens-toi de ça. Si tu as des livres, tu ne connaîtras jamais la solitude."
Elles sourient à travers leurs larmes et moi avec elles.
Merci Anne pour ce beau cadeau de la vie et le partage de votre maman.
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