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Alors qu'il avait immigré à New York pour fuir les pogroms de sa Russie natale, Alexander Til rentre à Petrograd, à l'aube de la révolution d'Octobre. Accompagné d'un mercenaire russo-irlandais et de la sublime Princesse rouge, il s'engage dans le mouvement bolchevik, dans l'espoir de transformer la Russie en une société libre et égalitaire. Témoin du rêve communiste pendant trente-cinq ans, il côtoie Lénine, Trotsky et enfin Staline. L'horreur de la réalité aura raison de ses rêves et il finira par s'opposer à « l'homme d'acier ».
Robert Littell est un excellent vulgarisateur. Comment dépeindre la tragédie absolue qui débuta en novembre 17 pour s’achever (s’est-elle vraiment achevée ?) en 1989, toujours en novembre ?
Il choisit d’insérer dans l’histoire russe deux new-yorkais qui rêvaient de révolution : un juif ayant fuit les pogroms de l’ancienne Russie et un aventurier mêlé aux luttes ouvrières du début de siècle. En imaginant que Trotski les ramène avec lui en Russie après la première révolution de février, il les immerge dans la grande histoire jusqu’à ce mois de mars 53 qui marqua la mort de Staline. C’est habile car il va pouvoir utiliser l’idéalisme de l’un en le confrontant à l’opportunisme sans scrupules de l’autre. Dans les révolutions, il y a beaucoup d’idéalisme au tout début qui s’efface vite face aux opportunités qui surgissent presque aussitôt. Dans le meilleur des cas les idéalistes se font opportunistes, dans le pire des cas ils sont éliminés par les opportunistes.
Robert Littell met les points sur les « i », la révolution permet à certains individus de révéler puis de développer leurs tempéraments criminels et sadiques. La scène de la page 128 est un sommet du genre : « Demande grâce » ordonna Tuohy. Alexinsky fit l’erreur de dire : « S’il vous plait. » Quand sa bouche s’ouvrit, Tuohy y glissa profondément le canon. Alexinsky s’étrangla mais Tuohy, savourant le moment, ne tira pas. Les yeux d’Alexinsky devinrent vitreux de terreur. Les doigts de Tuohy le picotaient, tant le sentiment de puissance – et le plaisir – qu’il éprouvait était grand. Souriant légèrement, il appuya sur la détente. »
C’est cousu de fil blanc, l’un finira dans un beau bureau et un grand appartement mis à sa disposition par le NKVD, pendant que l’autre goûtera de la Loubianka pour n’avoir pas dénoncé un poète.
Ca se lit comme un roman policier, les événements historiques sont, pour la plupart, indéniablement et tragiquement exacts et la force du réquisitoire réside dans la foule de petites anecdotes toutes plus tragiques les unes que les autres. Elles mettent un visage sur les souffrances et le chagrin de quelques unes des innombrables victimes pour finalement donner tort à Staline auteur de l’abominable citation « La mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million d’hommes est une statistique.» Le personnage du poète est emprunté à Ossip Mandelstam* dont le courage inouï lui valut la mort mais aussi la postérité pour le poème ci-dessous, composé en 1934 en pleine terreur :
« Nous vivons, sourds à la terre que nous foulons,
Nul ne perçoit nos discours à dix pas.
On n'entend que le montagnard du Kremlin,
L'assassin, le tueur de paysans.
Ses doigts sont gras comme des larves
Et les mots, lourds comme du plomb, tombent de ses lèvres.
Ses moustaches de cafard rient,
Et la tige de ses bottes brille.
Autour de lui, un ramassis de chefs au cou flexible
Demi-hommes serviles avec quoi il joue.
Ils piaulent, ronronnent ou geignent,
Lui jacasse et pointe le doigt,
Forgeant une par une ses lois, pour les jeter
Comme des massues à la tête, à l'oeil ou à l'aine.
Et chaque meurtre est une fête
Qui enfle de plaisir la large poitrine de l'Ossète. »
*Littell lui a consacré un autre de ses romans : L’Hirondelle avant l’orage.
J'ai été emmené par l'histoire et l'Histoire
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