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Pendant des mois, je ne me relis pas, j'essaie juste d'avancer, de tenir. Quand je commence à accumuler un peu de matière, je me mets à flipper de perdre ces notes sans me décider à les transférer dans l'ordinateur. Ce serait comme me rendre à la mort de Koumiko ou la tuer pour de bon, alors qu'elle est encore un peu présente dans la matérialité des carnets, de mon écriture à la main et, bizarrement aussi, dans le risque de perdre ces notes. Il faut pouvoir les perdre, c'est pour ça qu'elles existent.
Dans ce récit, Anna Dubosc revient sur la mort de sa mère pour donner corps à sa disparition. Comme dans ses textes précédents, il en va de l'écriture face à l'existence en tant qu'expérience organique, tentative d'amplification du temps et de l'espace.
« Ce que nous perdons le temps ne le refait pas, l’éternité le garde pour la gloire et aussi pour le feu ». Jorge Luis Borges. L’Aleph».
« Dans la vie, en dehors de la vie, je déferai ma valise, j’achèterai un petit réchaud ».
« Plus vivant que la vie », la force inégalée d’un récit qui est l’intégrité même. Lumineux, poignant, d’une sincérité totale, ce livre est irradiant, douloureux.
Un parchemin dédié à Koumiko, la Mère, sa mère. Une femme libre à l’instar de Diogène. Artiste, créatrice, sublime « forcément sublime », dont Chris Marker en 1965 a fait un film documentaire.
Anna Dubosc est sous le choc. Elle écrit comme une pluie d’étoiles. « Les gens me félicitent pour mon hommage, comme au cours d’une rencontre en librairie. Ça me fait plaisir. J’y repense toute la journée, je me repasse mon discours dans ma tête ».
La famille soudée, magnifique dans les différences de cet électrochoc. Les rappels pavloviens comme des cimes enneigées. On pleure sous ce trop-plein de virtuosité. Un hommage comme une chapelle sur la colline générationnelle.
On imagine le pouvoir de Koumiko encore présente. L’aura magnétique d’une vieille femme qui glisse doucement vers la perte de mémoire.
« Un foulard dont elle tient une extrémité dans chaque main et sur lequel est écrit en français : je rangerai la semaine prochaine. Ce qu’elle n’a fait ni la semaine ni les cinquante années suivantes ».
Coude à coude avec son compagnon et ses deux filles, sa sœur Sophie. Cercle qui s’agite, arrose les fleurs. Interpelle le passé et se refuse la finitude. Il n’est pas l’heure encore.
« J’ai senti la présence de Koumiko. C’était la première fois ».
Le récit témoigne, acquiesce la gémellité entre une mère japonaise, unique, au libre-arbitre avéré et sa fille Anna. Tant de similitudes que nos yeux se baissent sous tant de connivence. L’arrachement comme un cri dans la nuit. Anna est un oisillon tombé du nid.
« Je pleure en marchant. Je lui parle, je lui dis de revenir… Elle ne peut pas être nulle part. Il me manque un sens pour appréhender ce vide, cette immensité qui s’en fout ».
L’acte d’écrire comme la lave d’un volcan. Écoutez le balancier de la vie. Se dire qu’Anna vaincra. Mais il y a des mots encore qui cinglent comme la grêle sur un toit endormi.
« Je revois sa dégaine de grenouille, ses petits yeux tout contents, son sourire édenté. Je repense à nos tours sur la place ou le parc à côté ».
Et là les amis, les regrets comme des chapelets, mais l’amour rayonne. « Je me souviens qu’une fois sur deux ça me gonflait, et ça aussi ça me crève le cœur ».
Il n’est pas l’heure encore pour le deuil. Il faut qu’Anna souffre. Aussi fort que cette violence de mort. Ne pas laisser la plénitude d’une voix s’éteindre. Sentir l’odeur de la mère, son rire joyeux et son côté bohème colorier la vie, encore un peu.
Parole inestimable : « Je n’ai pas l’intention de surmonter. Ce serait comme trahir Koumiko, l’abandonner ».
Anna avance, se mêle à la foule. Vit et comble ses jours pour ne pas sombrer. Elle cherche les clefs, observe les ombres et ses plantes qu’elle déniche un peu partout. Complicité avec la mère. Elle qui a toujours gardé ses yeux d’enfant. La disparition qui bouscule les habitus. L’heure arrêtée au cadran de la mort. IL n’y a plus de contraintes, de charge mentale, et plus de grâce parentale. Anna est en manque. « Dans la rumeur d’une langue étrangère, je me sens protégée, hors d’atteinte ».
Écrire ainsi est une rose éternelle, plus vivante que la vie. Anna ne brusque rien. Elle devine ce qui adviendra après ce long silence et les heures sautées où elle rendait visite à Koumiko et se nourrissait au lait maternel. Le symbole de l’amour.
Ce livre intime est à l’instar d’un mémoriel sans le pathos qui désagrège la beauté. Fille et mère, mère et fille et mère. « Comme un adage ou une vérité mystérieuse ».
Ici, vous allez pleurer, rire, soutenir et vivre (re).
Il faudra alors un périple au Japon : terre-mère. Une déambulation initiatique. Une aurore boréale invisible, laissez faire et tout retenir.
Admirable. Il faut lire, vaciller et étreindre. Anna, merci !
Publié par les majeures Éditions Quidam éditeur.
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