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On a toujours à revenir sur l´importance du Journal de Franz Kafka pour qui aujourd'hui doit écrire, veut écrire. Et peut-être que pour nous, qui sommes confrontés à la rupture Internet, il y a une autre actualité, mineure, mais à ne pas contourner, de ce Journal : l´écriture peut exiger la plus haute solitude, mais cette solitude même s´accompagne d´une infinie diversité d´activités, d´écritures, de recherches, de paroles. Autre continent les lettres de Franz Kafka (la fameuse phrase, Un livre est la hache qui brise la mer gelée en nous, c´est dans une lettre, trouvez-la...), autre continent ses conversations (avec Gustav Janouch, avec Max Brod, avec Milena...).
Et dans le Journal se rejoignent tous les fils : l´invention, la panne, les lectures, les séances en public, les voyages, l´observation de la ville, le travail intérieur. Les ébauches, les récurrences.
Et puis, à côté, et en général sans lien (le Journal s´arrête des mois entiers lors de l´écriture des trois romans), l´émergence nue de l´oeuvre.
Alors tous les pratiquants, tous les amoureux du Journal connaissent ces trois passages, où Kafka à sa propre surprise va écrire d'un jet toute la nuit :
Journal de Franz Kafka, le 23 septembre 1912 :
J´ai écrit ce récit - Le Verdict - d´une seule traite, de dix heures du soir à six heures du matin, dans la nuit du 22 au 23. Je suis resté si longtemps assis que c´est à peine si je puis retirer de dessous le bureau mes jambes ankylosées. Ma terrible fatigue et ma joie, comment l´histoire se déroulait sous mes yeux, j´avançais en fendant les eaux. A plusieurs reprises durant cette uit, j´ai porté le poids de mon corps sur mon dos. Tout peut être dit, toutes les idées, si insolites soient-elles, sont attendues par un grand feu dans lequel elle s´anéantissent et renaissent. Comme tout devint bleu devant ma fenêtre. Une voiture passa. Deux hommes marchèrent sur le pont. A deux heures, je regardai ma montre pour la dernière fois. Quand la bonne a traversé le vestibule, j´écrivais la dernière phrase. La lampe éteinte, clarté du jour. Légères douleurs au coeur. La fatigue disparaissant au milieu de la nuit. Mon entrée tremblante dans la chambre de mes soeurs. Comment, auparavant, je m´étire devant la bonne et dis : « J´ai travaillé jusqu´à maintenant. » La vue de mon lit intact, comme si on venait de l´apporter à l´instant dans la chambre. Ma certitude est confirmée, quand je travaille à mon roman, je me trouve dans les bas-fonds-honteux de la littérature. Ce n´est qu´ainsi qu´on peut écrire, avec cette continuité, avec une ouverture aussi totale de l´âme et du corps.
Interruption jusqu´au 11 février 1913, puis :
A l´occasion de la correction des épreuves du Verdict, je note, dans la mesure où elles me sont présentes à l´esprit, toutes les associations qui ont pris un sens clair pour moi dans l´histoire. Ceci est nécessaire, car ce récit est sorti de moi comme une véritable délivrance couverte de saletés et de mucus et ma mali est la seule qui puisse parvenir jusqu´au corps, la seule aussi qui ait envie.
Enfin, Journal, le 12 février :
Après ma lecture à haute voix, hier chez Weltsch, le vieux Weltsch est sorti et est revenu au bout d´un moment en faisant spécialement l´éloge de tout ce qui est description imagée dans le récit. La main tendue, il disait : "Je vois ce père devant moi", tout en regardant exclusivement la chaise vide sur laquelle il avait été assis pendant la lecture. Ma soeur m´a dit : C´est notre appartement. Je m´étonnai qu´elle eût mal compris la distribution des lieux et lui dis : - Mais dans ce cas, il faudrait que le père habitât aux WC...
(traduction Marthe Robert, © Grasset, 1956) Ainsi, non seulement nous avons une radiographie comme en direct du surgissement (relire en amont ce que Kafka vivait, traversait, écrivait les semaines précédentes, ou le chercher dans les lettres à Felice), mais du rapport de l´homme à l´écrivain qui lui est étranger, enfin la réception même.
Et, si ce miracle n´advient pour Franz Kafka qu´une seule fois dans sa vie d´écriture, qu´avons-nous à préparer, payer, construi
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