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Aller vers des terrains qui nous sont inconnus, c’est ce vers quoi les Éditions des Femmes/Antoinette Fouque me poussent à chaque nouveau titre, et nouvelle lecture, aussi différente que la précédente, la féminité et féminisme des autrices étant le point commun les reliant les uns aux autres. Il est question, ici encore, d’une grande dame, dont j’apprends l’existence bien tardivement (Ne serait-pas t-on un peu trop francocentré ? ) : la libanaise May Ziadé, dont l’autrice Carmen Boustani, sa concitoyenne, reconstitue la biographie avec tout l’admiration qui est la sienne, et que j’ai fini par partager, et une attention particulière aux détails et à sa sensibilité de poète.
May Ziadé, de son vrai nom Marie Ziadé, est née au Liban en 1886, de parents aisés et éclairés, sœur d’un frère cadet qui mourra à l’âge de deux ans. Francophone, elle passe ses premières années dans le pays au cèdre une enfance épanouie, entre l’école, les cours de piano, ses nombreuses lectures et ses rêveries au sein de la campagne. C’est le déménagement de la famille Ziadé en Egypte qui achèvera l’éducation intellectuelle et spirituelle de la jeune Ziadé, en contact alors avec les milieux culturels et lettrés les plus brillants du Moyen-Orient, héritage de cette renaissance arabe, la Nahda, dont notamment le Liban et l’Egypte furent les témoins privilégiés. May Ziadé représente cette pluricultularité, les influences françaises, libanaises, arabophones, un esprit donc élevé, exigeant, indépendant, une femme de lettres, une féministe, la toute première féministe du bassin méditerranéen alors même que les frères musulmans font leur apparition, et que l’islam se fait de plus en plus rigoriste, imposant la charia, et la restriction des libertés aux femmes, et la fin implicite de cette révolution culturelle.
On retrouve chez May Ziadé, et cela occupe une part essentielle de cette biographie, le culte du mythe de l’enfance heureuse passée à Nazareth, un point essentiel, un point de chute, vers lequel elle reviendra toute sa vie malgré le l’effervescence de sa vie en Egypte. Carmen Boustani nous raconte une femme avec une acuité de pensée exceptionnelle, dotée d’aptitudes qui ont été encouragées par l’éducation exigeante qu’elle a reçue, lecture et écriture favorisées dès son plus jeune âge par des parents eux-mêmes baignant dans la culture et attentifs au développement et à l’épanouissement de leur fille. Une enfance que l’on aurait volontiers qualifiée de privilégier si ce n’était la perte du tout jeune frère cadet, Elias. Elle a en tout cas bénéficié de solides fondations, ce qui n’est certes pas donné à tout le monde, pour devenir cette femme de lettres, cette penseuse et idéologue féministe qui a définitivement marqué de son empreinte le Liban, l’Egypte, au grand dam de son entourage masculin.
Première femme arabe à rentrer à l’université (du Caire), pionnière du féminisme arabe, Marie devient Mai, polyglotte, poète, autrice d’articles, maîtresse de salons littéraires, conférencière et militante féministe. La biographie qu’a écrite Carmen Boustani a savamment explicité le terrain qui a favorisé le germe de cette femme novatrice, qui va bousculer les pensées, et insuffler un vent frais dans un monde très fortement masculin, et donc et rétrograde. On apprend aussi ces autres esprits féminins, qui plutôt que de suivre le modèle traditionnel patriarcal, tracent leur propre route. Critique littéraire, elle devient vite reconnue par ses pairs, féminins autant que masculins, même si parfois l’aspect novateur de sa pensée, cette inclinaison vers une obstination farouche de l’indépendance de la femme rentre en collusion avec la montée du radicalisme en Egypte, et la direction de la revue, Politique hebdomadaire, où elle s’exprime dans un premier temps. Le fait qu’elle, d’abord francophone puis arabophone, essaie d’établir des liens entre l’Europe et le monde arabe dans lequel elle vit, d’abord l’Egypte, ne joue à l’évidence pas en sa faveur dans le contexte de l’époque. La vie de May Ziadé, c’est une consécration, et un hommage, à ce que l’on appelle la Renaissance arabe, un âge d’or que connurent entre autres Egypte et Liban au début du XXe siècle.
Le caractère de May pour ce qu’il est, et grâce aux influences qui l’ont formé, ont fait d’elle une personne curieuse et ouverte sur le monde, toujours prompte à apprendre, les langues, et l’arabe d’abord, les autres cultures, les voyages et même les façons de vivre le voyage, le bateau et le le train, la vie au plein air, la proximité avec ses bêtes, le cheval, les chats, son intérêt pour l’autre, les femmes, tout ce qu’elle n’est pas, qu’elle pourrait bien devenir ou au contraire, ne jamais être, l’universalité du monde à laquelle elle s’ouvre depuis son orient. À travers le fil de vie de May Ziadé, on y apprend les idées de ces autres féministes, dans lesquelles elle se rencontre peu ou prou, Bahithat al-Badia, même si les idées de cette dernière sont plus nationalistes et islamocentrées....
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