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Une femme s'est fixé la date anniversaire de son existence : celle de la mort de son fils. Magnifiquement inconsolable. Mais il y a des ruses, même dans le sublime.
Ses enfants la surnomment mater dolorosa. Depuis la mort de son fils aîné, le deuil lui est dû comme le droit fondateur de son existence. Elle est la femme en deuil. Tout doit s'ordonner autour du jour à jamais fixé. Tout se concentre autour de la chambre au fond du couloir, là où elle a trouvé son fils mort, à son piano - l'insaisissable, touchant et tempétueux adolescent.
Cela, le lecteur de ce premier roman d'Anne Godard ne le sait pas tout de suite. Le récit commence, en effet, par l'attente. La femme est seule. Les enfants ne vivent plus à la maison, le mari - un musicien manqué - a changé de vie. Elle attend le coup de téléphone. Elle attend les signes de compassion qu'elle exige de ses proches, selon des procédures complexes, puisqu'il ne faut pas que cela ressemble à de la compassion. Bref, elle attend que le monde tourne autour d'elle. Car c'est « le » jour, celui de la mort du fils, voici plus de vingt ans. Malheureusement, elle est bien la seule à célébrer ce culte dont les fidèles finissent par se lasser.
« Tu te dis que tu as beaucoup souffert, d'habitude cela suffit, tu n'as pas besoin de penser plus concrètement. » Au monologue intérieur, Anne Godard a préféré l'emploi de la seconde personne, tu. Cela peut, au début, sembler affecté. Mais on en est vite convaincu : c'est le meilleur choix.
Parlant à la première personne, la femme en deuil ne pourrait pas trahir certains signes de sa complexité intérieure, puisqu'elle est, à sa façon, une grande menteuse. A la troisième personne, le narrateur paraîtrait imposer sa grille au personnage : la femme en deuil ne serait plus qu'un « cas ». Avec la deuxième personne, il y a du « je », il y a déjà du « elle » et l'indicible se glisse par cette demi-proximité, confidence mi-consentie, mi-extorquée.
Derrière la douleur, derrière le ressentiment contre les vivants - notamment contre les autres enfants -, le lecteur découvre, en effet, un noeud de vipères familial, une maison, des souvenirs, des grandes espérances, de non moins grandes illusions perdues et le besoin farouche de maintenir les chimères - dont la musique et le fils mort. On s'aperçoit aussi que la mort du fils est un chaudron de sorcière. Un suicide dont les causes sont le tissu même du récit, avec ses masques et son enfermement.
« Ton fils s'est tué sans un mot, toi, tu te vengeras du silence du mort, par les mots que tu laisseras aux vivants. » On approche du secret de la femme en deuil, mais on n'en brisera heureusement pas le mystère. Cette redoutable manipulation de la « deuxième personne » suffit à montrer que l'indicible est parfois ce qui s'impose le plus évidemment sans mots. Et l'on saluera l'écriture très accomplie à la fois puissante, précise et insinuante d'Anne Godard.
Jean-Maurice de Montremy (25 novembre 2005)
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