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" Dans ma jeunesse, je me révoltais contre le portrait de l'artiste que j'avais lu dans le récit Tonio Kroger, de Thomas Mann, contre l'assimilation de l'activité créatrice avec la névrose et un appauvrissement intérieur. Mais je concevais aussi autrement qu'aujourd'hui cette interdépendance, ou plutôt ses conséquences, attitude qui devait d'ailleurs concorder avec l'intention initiale de Thomas Mann. Avant la Première Guerre mondiale, le caractère exceptionnel de l'artiste _ d'un homme au pouvoir de forces démoniaques _ contribuait à lui assurer toutes sortes de prérogatives et, d'une manière ou d'une autre, il se rattachait à la théorie du sacerdoce de l'art qui ne s'est pas révélée durable. Ma génération avait déjà un peu honte de cette théorie. Mais il arrive qu'une thèse, après des années, acquière une nuance affective et intellectuelle différente, et prenne à nos yeux une autre signification. Tonio Kroger dit que " la poésie est une sorte de vengeance sur la vie ". C'est indéniable. Cependant, cette phrase avait un sens légèrement différent dans la ville bourgeoise et animée de Munich d'avant 1914, lorsque le XIXe siècle durait encore, car ce n'est que le déclenchement de la Première Guerre mondiale qui a marqué sa fin. Par la suite, le poète a dû éprouver des souffrances morales en prenant conscience que ce ne sont pas les réflexes les plus nobles et les plus humains qui sont ses alliés, mais " son attitude froide et distante " _ également lorsqu'il écrit un poème contre l'inhumanité. Et cela justement, au lieu de donner des prérogatives au poète, accroît les exigences envers la poésie, qui paraît toujours insuffisante, c'est-à-dire imparfaite, et par là même incapable de racheter son péché originel. "C.M.Milton, de William Blake...? Sans doute l'impulsion qu'ils ont su donner à leur poésie, la concordance avec la réalité de leur époque, leur effort pour l'appréhender, pour la rendre plus signifiante et éclairer les rapports que l'homme entretient avec elle?Ce rapport à la réalité est un problème complexe; l'approche en est difficile, les notions fuyantes, mal définies encore, entravées d'anciennes dénominations. Milosz procède par touches, par étapes successives, s'éloigne du problème principal pour mieux y revenir et souligner avec passion ce qui, selon lui, en constitue l'essentiel. Il n'existe pas de réponse univoque à la question de ce qu'est la réalité, sans doute " une nouvelle dimension de l'homme et de la société ".Milosz porte un regard neuf sur divers phénomènes culturels et sociaux, allant chercher, par exemple, dans l'ancienne Saligia _ la liste des péchés capitaux _ de nouveaux contenus, une nouvelle façon d'aborder, et peut-être de mieux comprendre, la réalité de notre époque. Des auteurs peu à la mode, Swedenborg, Blake, O.V. de L. Milosz, Simone Weil, invitent à s'engager plus avant dans ces chemins de traverse qu'emprunte Czeslaw Milosz.Czeslaw Milosz, né en 1911 en Lituanie, se consacre très tôt à la poésie. En 1951, il rompt avec la Pologne. Après une dizaine d'années passées en France, il s'installe aux Etats-Unis, où il enseigne les langues et littératures slaves à l'université de Californie (Berkeley). Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1980.
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