Passionné(e) de lecture ? Inscrivez-vous gratuitement ou connectez-vous pour rejoindre la communauté et bénéficier de toutes les fonctionnalités du site !  

Les petits jours ; il est des hommes pour qui le plus grand jour de leur vie est celui de leur mort

Couverture du livre « Les petits jours ; il est des hommes pour qui le plus grand jour de leur vie est celui de leur mort » de Robert Pouderou aux éditions Mokeddem
  • Date de parution :
  • Editeur : Mokeddem
  • EAN : 9782916903033
  • Série : (-)
  • Support : Papier
Résumé:

Robert Poudérou est né en 1937. Il est l'auteur d'une cinquantaine de pièces jouées à Paris, en province et à l'étranger. Une vingtaine a été diffusée sur Radio France (France Culture, France Inter) et la Radio Suisse romande. Scénariste, il a écrit sept téléfilms, dont : Le Voyage sans retour,... Voir plus

Robert Poudérou est né en 1937. Il est l'auteur d'une cinquantaine de pièces jouées à Paris, en province et à l'étranger. Une vingtaine a été diffusée sur Radio France (France Culture, France Inter) et la Radio Suisse romande. Scénariste, il a écrit sept téléfilms, dont : Le Voyage sans retour, Les Enfants Lascaux, Marion et son tuteur, plusieurs scénovisions et réalise Liberté, nous voilà !, un docudrame sur la résistance en Dordogne (2002). Il obtient le prix Radio de la SACD en 2002.


Il est des hommes pour qui le plus grand jour de leur vie est celui de leur mort.
Après cinq années de vie commune, Lucie et Germain découvrent que l'infidélité dans le couple est une prise de conscience non de soi-même, mais de son propre corps EXTRAIT Lucie n'était pas dans la cuisine. Pas dans la chambre. Pas dans la salle de bain. Pas de dentifrice sur la brosse à dents. Le lit n'était pas défait. Le couvert de Germain n'était pas mis dans la salle de séjour. Il n'y avait pas de limonade dans le verre posé sur la petite table de la chambre. Machinalement, Germain a pris le verre. Machinalement, il s'est assis au bord du lit. Et longtemps, très longtemps, il est resté là, sans bouger, à fixer le tapis, le verre vide dans les mains.
Et c'est ainsi que Lucie, passé minuit, l'a trouvé.
Elle n'a rien dit. Il n'a posé aucune question. A le voir si accablé, si malheureux, elle est venue s'asseoir près de lui, puis elle a laissé un long moment son front posé contre la joue de son mari. Quand elle a relevé la tête, elle a vu qu'il pleurait doucement. Alors, dans ses yeux ont éclaté soudain les larmes d'une joie profonde : elle a cru que tout redevenait pareil comme au premier jour de leur tendresse, que Germain avait besoin d'elle et de toutes ces petites choses qu'elle savait seule lui donner, qu'il n'irait pas au bout de cette histoire qu'il voulait écrire. Elle a dit:
- Pardonne-moi, j'étais au cinéma. Une envie d'ailleurs, ce soir.
Puis elle a pris le verre dans les mains de Germain et elle est passée dans la cuisine pour le remplir de limonade.
Le lendemain...
Le réveil a sonné, des pieds nus ont traîné suer le parquet ciré, l'eau chaude a coulé, le rasoir a fait la peau des joues lisse, le café noir a fumé dans un bol, le pain frais grillé, beurré, a craqué sous les dents. Et après, il y a eu la rue, le ciel bouché sur la tête. Et le métro ensuite, et Germain pressé dans un coin par des gens aux visages mornes. Et au bout du métro, les arbres de l'avenue, le bâtiment monolithique avec ses ascenseurs, ses pointeuses, ses grandes salles aux bureaux alignés.
Dans la matinée, dans le couloir, Jeanne a suivi Germain quand il est sorti pour aller aux toilettes. Elle lui a dit qu'elle partait en province avec son mari qui devait diriger là-bas une succursale de la Compagnie ; elle trouvait que c'était bien ainsi ; et comme elle attendait que Germain dise quelque chose et que Germain ne disait rien, elle lui a vivement signifié qu'il était tout à fait semblable à tous les autres et n'a pas attendu de savoir s'il avait une réponse à lui donner.
A midi, Germain a téléphoné à Lucie, au magasin. ça faisait longtemps qu'il n'avait pas eu l'idée de l'appeler simplement pour lui dire bonjour, pour entendre sa voix : elle était contente, elle a dit. Le travail ne manquait pas au magasin et elle aurait le soir un peu de retard. Elle lui a recommandé de ne pas oublier les commissions : elle avait mis une liste sur la table de cuisine. Elle lui a dit qu'elle l'embrassait bien fort. Mais Germain aurait peut-être aimé qu'elle ne raccroche pas si vite.
Le soir, Germain attendait Lucie devant le magasin. Enfin, à trente pas de l'entrée pour qu'elle ne l'aperçoive pas tout de suite en sortant.Quand Lucie est apparue, à l'heure habituelle de la fermeture, Germain a semblé vouloir se porter vers elle or, son élan s'est brisé : Lucie cherchait quelqu'un du regard. Il y avait en effet quelqu'un de l'autre côté de la rue qui a fait un geste de la main à l'adresse de Lucie - un homme, un Africain, vers lequel elle a couru. L'Africain était plus grand que Germain, une bonne tête de plus que Lucie qui s'est lovée contre lui dans un visible abandon de son être. L'homme l'a tenue serrée fortement dans ses bras de haut en bas de son corps comme dans un désir de fusion immédiate. Et puis, tout entière suspendue aux yeux de l'homme, tête posée sur l'épaulela de celui-ci, Lucie a titubé un moment en marchant ; peu à peu l'Africain et Lucie ont accordé leurs pas et Germain les a suivis. Le couple est entré dans un vieil immeuble. Il a disparu dans l'ombre de l'escalier. Germain a lu tous les noms écrits sur les boîtes aux lettres du couloir. Il n'y avait qu'un seul nom qui n'était pas français, un seul nom exotique. Il est monté au deuxième étage puis, comme il était écrit sur l'étiquette de la boîte, il s'est approché de la porte droite. Il n'y avait, à cette heure, dans l'immeuble aucun bruit, aucune animation. Dans le silence, l'oreille plaquée à la porte, Germain a reconnu la voix de Lucie. Et son rire. Le rire frais qu'elle ne libérait sans doute plus depuis longtemps avec son mari. A ce rire a succédé de la musique : une mélodie sentimentale antillaise égrenée à la guitare.
Et soudain plus rien.
Germain a eu un geste qui était comme l'intention de frapper à la porte mais il n'en a rien fait. Il a continué à écouter et, au bout d'un long moment d'écoute, il a entendu, pendant quelques instants, faibles encore, les douces plaintes du plaisir qui monte dans un corps de femme ouvert, en confiance, aux tendres attouchements des mains de l'homme, un plaisir qui a fini par éclore, par trois fois, et crescendo, en un oui d'amour de Lucie à cet homme qui la prenait.

Donner votre avis