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Une bourgade de Tchécoslovaquie proche de la frontière allemande, au printemps 1945 : ni les rumeurs du front ni la présence d'une usine Messerschmidt ne semblent troubler la quiétude toute «bovarienne» d'un groupe de «zazous» qui viennent de créer un ensemble de jazz. «La révolution va avoir lieu» se disent parfois ces jeunes «lâches», ne l'imaginant que comme sujet abstrait. Pourtant, les réfugiés de toutes nationalités et de toutes races affluent déjà, rescapés des batailles ou des camps. Et l'«armée» que d'anciens militaires tentent de mettre sur pied au dernier moment ressemble singulièrement à celle du «brave soldat Chvéïk»... En une semaine, les «zazous» passeront de l'adolescence à l'âge adulte, rencontreront le visage de la défaite et de la mort, vivront le temps d'une nuit - l'épopée des luttes partisanes. Le récit, commencé le 4 mai 1945, se termine le 11 mai, date d'entrée des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie. Largement autobiographique, ce roman sous-tendu par un humour raffiné, déclencha, lorsqu'il parut en 1958 en Tchécoslovaquie, une purge dans les milieux littéraires et valut à l'auteur une interdiction de publier qui dura cinq ans.
Figurant indéniablement parmi les auteurs tchèques majeurs de la seconde moitié du XXème siècle, même s’il est beaucoup moins connu que Kundera et Hrabal, Josef Škvorecký est l’auteur d’une trilogie libre, constituée par Les lâches, L’escadron blindé et Miracle en Bohême. Rédigé en 1948 mais publié seulement en 1958, Les lâches valut à son auteur une interdiction de publier de plusieurs années et la perte de son travail. Il traite de la libération de la ville natale du narrateur Danny Smiřický, du 4 au 11 mai 1945.
Le régime communiste ne laissait pas de place à l’humour et à la nuance. Si le livre de Josef Škvorecký peut apparaître à un lecteur actuel comme un témoignage objectif des derniers jours de la Seconde Guerre Mondiale dans la ville tchèque de Kostelec, il porte néanmoins un regard loin de la ligne officielle qui magnifiait la libération de la Tchécoslovaquie et y répandait un fort lyrisme.
On suit ainsi Danny Smiřický, le narrateur. Il a 20 ans et a deux grandes occupations : le jazz, une passion qu’il partage avec une bande copains, et les filles, qu’il essaie de séduire, et en premier lieu une dénommée Irène, qui se refuse malheureusement à lui :
J’avais l’impression que toute ma vie se composait d’Irène, de Vera, d’Eva, de Jarinka et de ce que j’avais obtenu avec elles, et qu’en dehors de ça, il n’y avait rien. Je pensais aux autres gars et eux aussi ne parlaient que des filles et de rien d’autre. Parfois, on parlait de musique. Oui, la musique et les filles. Ça, c’était la vie. La musique est extraordinaire. Et toujours, quand je pensais au passé ou à l’avenir, la musique et les filles étaient liées.
Les Allemands refluent de Kostelec, les premières célébrations ont lieu, et des accords sont passés entre la municipalité et les occupants pour éviter les combats inutiles. Dans ce cadre, les jeunes gens, qui se sont inscrits pour combattre, sont un peu désabusés. Les patrouilles leur semblent inutiles, et Danny préfère aller passer son temps à séduire Irène. Les prisonniers du front Est font leur apparition à Kostelec : il s’agit de soldats anglais en captivité depuis 5 ans, des Juifs en guenilles… Les derniers combats, sanglants, ont lieu entre les SS et l’Armée Rouge, auxquels participent Danny et ses amis.
Les lâches constituent un témoignage historique très intéressant sur ces derniers jours de la guerre. Ils ont un caractère autobiographique certain car Škvorecký est né lui aussi en 1924 et derrière Kostelec, se cache Náchod, une ville du Nord-Est de la Bohême où est né l’auteur. Danny porte un regard tantôt détaché, tantôt humoristique ou ironique sur la situation. « Lui, il était obligé d’être héroïque parce que, pendant la guerre, il ne l’avait pas été du tout » dit-il en parlant d’un des voisins, sans oublier de prendre part aux combats, même s’il relativise son héroïsme. Danny a la naïveté de sa jeunesse, mais également une profonde honnêteté. Il saisit bien le caractère des gens qui l’entourent et le rôle que certains veulent jouer. Il prend conscience qu’une nouvelle époque est en train de naître avec l’arrivée de l’Armée Rouge :
La place se remplit de leur bruit et du claquement des longs fouets. On eût dit que la procession n’allait jamais finir. L’air lui-même s’imprégna de leur odeur, le fumet de la toundra et de la taïga. Je regardais ces visages hâlés et il me semblait incroyable qu’il ait pu exister des gens comme ça, des gens qui ne connaissent rien du jazz et peut-être rien non plus des filles. Ils passaient saouls, victorieux, ne pensant à rien, tout à fait différents de moi, tout à fait étrangers. Et en même temps, je me sentais attiré par eux. Je les admirais. C’était cela, l’Armée rouge. Elle fonçait en avant, poussiéreuse, sauvage, infatigable, trempée de sueur, barbare. Je ne savais pas si réellement quelque chose commençait, une révolution, et si elle avait quoi que ce soit à voir avec moi et avec mon monde. Tout cela passait en dehors de moi, et moi, il me semblait que j’étais perdu pour tout cela. Je savais seulement qu’on acclamerait les novateurs, que les gens feraient de grands discours pour le communisme et que moi, je ne mentirais jamais. Je n’avais rien contre le communisme. Je ne le connaissais pas. Et je ne faisais pas partie de ceux qui sont contre quelque chose, pour la seule raison que leur famille et que leurs amis sont contre. Je n’avais rien contre personne, aussi longtemps que je pouvais jouer du jazz sur mon saxo. Car c’était ça que j’aimais le plus, et simplement je ne pourrais jamais soutenir quelque chose qui serait contre le jazz.
C’est un vrai régal de lire à nouveau Škvorecký ! On ne peut que regretter une nouvelle fois qu’aucune édition récente ne permette à un lectorat plus large de découvrir son oeuvre. C’est à la fois facile à lire, très vivant grâce à de nombreux dialogues, mais en même temps profond, bien écrit, « humoristiquement intelligent ». De la très bonne littérature en conclusion.
https://etsionbouquinait.com/2024/03/12/jo
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