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Shôhei Ooka Les Feux C'est une évocation terrible de la guerre et de ses ravages que nous livre Shôhei Ooka dans ce roman considéré comme un des chefs-d'oeuvre de la littérature japonaise de l'après-guerre. Car le drame de Tamura, simple soldat et intellectuel dans le civil, envoyé dans la jungle des Philippines, où il éprouve la solitude, la faim, la peur et finalement sa propre folie, ne concerne pas seulement les Japonais ; ce drame symbolise de manière universelle la tragédie de tous les hommes, soldats ou civils, pris dans l'engrenage d'une guerre dont la logique leur échappe, mais qui finit par les dévorer, marquant à vie ceux qui lui survivent.
Tamura n'est pas un « héros » dans le sens traditionnel du terme ; il est bien trop humain pour l'être ou pour le devenir. Ce qui le rend peut-être héroïque, c'est sa quête entêtée et désespérée de l'humain, même quand les choix qui lui sont imposés sont barbares. Evocation minutieuse, acérée, sans complaisance, mais pleine de compassion, du calvaire et de l'angoisse existentielle d'un être soumis aux pires agressions, Les Feux sont avant tout une réflexion philosophique sur l'extrême.
Dans l’imagerie populaire, le combattant japonais de la seconde guerre mondiale est l’héritier du samouraï. Il ne craint pas la mort, il consent au sacrifice de sa vie pour servir son pays. Au déshonneur, il préfère le suicide. Le soldat du roman de Shôhei Ôoka, Tamura, est tout le contraire. L’anti-héros parfait. Il est couard, égare son fusil, assassine une pauvre femme sans mesurer la gravité de son acte, se cache quand les balles sifflent et fait peu de cas de son Empereur. De toute façon, la mort se refuse à lui. Elle le poursuit sans jamais l’atteindre, de l’hôpital en feu où il demande asile jusqu’aux rivages bombardés par l’aviation américaine. Ça fait de lui un zombie parmi les cadavres en décomposition de ses camarades et les paysages calcinés. Là réside le paradoxe. Plus il survit, plus il souhaite mourir et moins son périple lui en donne l’occasion. Serait-il l’envoyé de Dieu ? Dans quel but ? Tamura interroge le ciel embrasé, les animaux qui fuient, les plantes qu’il dévore – il se confronte au vivant et fait ce constant terrifiant : je ne mérite pas ce monde. Beaucoup de scènes m’ont rappelé le film de Terence Malik, la ligne rouge, quand le soldat fait corps avec la nature et que les hommes (les ennemis) l’en délogent. C’est un livre dont le titre rappelle aussi le chef d’œuvre d’Henri Barbusse. Il en est proche, notamment dans l’implacable description du processus de déshumanisation des soldats confrontés aux horreurs des combats. Dans ce roman, la négation de l’homme, a le visage du cannibalisme. L’innommable, dans cette guerre-là, c’est de manger son prochain. Tamura en sera marqué pour le restant de ses jours. Tout comme la lectrice que je suis.
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