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L'instant est béni. Tout le reste est souvenir Jim Morrison Le carburant préféré d'un auteur est sa mémoire, l'introspection est son terreau et la page blanche son jardin. La nouvelle et la chronique se frôlent sans cesse, la différence entre une histoire imaginaire presque vécue et un souvenir teinté de sépia est bien mince. Les brouillards du Rhône contient des nouvelles sombres, d'autres moins, des hommages au polar et à ses maîtres comme James Cain, Jim Thompson et Frédéric Dard ainsi qu'une réflexion sur la création littéraire suivie de quelques morceaux de vie.
Nouvelles Marylebone Lane / Mandrin / Plafond / Taïaut / Le facteur est toujours à l'heure / Demain / Canicule mortelle / Du sang dans le pain / This is the end / Lui et moi / La caresse / Septième sens / Quand tu descendras du ciel / La carpe / Mise au poing / Bad team Chroniques Mon clavier s'appelle Christian / Cogito ergo sum / Journey / Quand j'étais gone / Mémoires d'un prolétaire
Dominique Terrier nous propose 340 pages de nouvelles, courtes, voire très courtes, qui selon ses propres termes vont du noir foncé au rose bonbon.
C'est d'ailleurs par du très sombre que le recueil débute. Une succession de petites histoires dans le style série noire à l'américaine. Avec quelques représentantes du beau sexe, la femme «l'avenir de l'homme» selon Aragon, mais un avenir peu radieux, entre quatre murs voire quelques planches. Des belles à pourrir la vie d'un honnête truand.
Heureusement, par un sourire, la belle peut illuminer la première journée de liberté d'un taulard.
Malgré la noirceur de certains textes, le style est imagé, empreint d'un humour à la Audiard dont Dominique Terrier nous a déjà gratifiés dans «Tuez-moi demain», son petit bijou de polar humoristique.
Après cet hommage au polar et ses femmes fatales, parfaitement compréhensible pour un auteur dont le livre de chevet du genre est «Le facteur sonne toujours deux fois», les nouvelles suivantes s'inspirent fortement du vécu de l'écrivain: Son rapport à l'écriture, son enfance, son parcours professionnel.
S'ensuivent de belles pages qui m'ont ramené des années en arrière - j'ai quasiment le même âge que l'auteur – certaines me parlant plus particulièrement.
Je ne m'attarde pas sur les nouvelles dont le titre rappelle une chanson ou un album, avec parmi elles un bien bel hommage au grand Miles Davis, et d'autres plus surprenantes où j'ai eu du mal à suivre la pensée de l'auteur, avec l'impression de lire un texte quelque peu déjanté.
Plus poétique, une belle ballade écossaise le long des parcours de golf, au milieu des «Loch», avec un air vivifiant à l'odeur délicatement tourbée qui caresse le visage, des embruns au goût de malt qui titillent les muqueuses, se termine bien évidemment dans ce que l'Ecosse abrite de plus précieux : une distillerie de whisky, mais pas n'importe laquelle, Edradour, la plus petite d'Ecosse.
L'auteur raconte avec beaucoup de tendresse et de nostalgie son enfance dans la cité lyonnaise, lorsqu'encore gone, il accompagne son grand-père sur les pentes de la Croix-Rousse pour y découvrir la boule lyonnaise, dans un de ces clos boulistes qui, s'il en reste, font partie d'un patrimoine régional d'une autre époque.
Il évoque également sa grand-mère, à l'origine de sa passion pour l'humour à force d'écouter sur un électrophone Teppaz des comiques que les moins d'un certain âge, voire d'un âge certain, peuvent difficilement connaître: Fernand Raynaud, Roger-Pierre, Jean-Marc Thibault...
Le Teppaz a disparu, mais le 45 tours avec «Deux croissants» et «Le 22 à Asnières», je l'ai toujours.
L'enfance pour Dominique Terrier c'est également certaines séries télé cultes.
«Le fugitif», qui a scotché toute une population dans l'espoir que le docteur Richard Kimble, «innocente victime d'une justice aveugle», prouve son innocence en attrapant l'ignoble manchot après qui il court désespérément d'épisode en épisode.
«Les envahisseurs», au petit doigt raidi comme unique signe distinctif, que seul David Vincent, perdu sur une route de campagne, a vus débarquer et que bien sûr personne ne croit.
Sans oublier L'amitié entre Sonny, le petit australien, et Skippy son bondissant compagnon.
Quel plaisir de revenir à cet âge d'insouciance et de découverte, avec une seule chaîne ORTF qui représentait des moments de pur bonheur. Je rajouterai pour ma part deux séries qui m'ont marqué de façon différente : «Belphégor» le summum de l'angoisse pour un gamin au début des années soixante, et «Chapeau melon et bottes de cuir» pour la délicieuse Madame Peel.
La dernière partie, moins romantique, raconte le parcours d'un ouvrier qui, fraîchement devenu fraiseur, se retrouve embauché dans la grande famille de l'usine Berliet, devenue RVI, mais toujours Berliet dans les esprits. On a droit à une une visite guidée des ateliers les plus sales et bruyants de cette glorieuse institution de la région lyonnaise, pour laquelle une armée d'anonymes - dont mon paternel - se levait dès potron-minet pour prendre un car dans lequel ils espéraient grappiller quelques minutes de sommeil et rattraper un temps perdu qui ne se rattrape jamais. L'auteur découvre alors le monde syndical et utilise ses talents d'écrivain à la rédaction des tracts pour défendre le monde ouvrier et les «camarades travailleurs», à une époque où ces notions avaient une signification profonde.
Si j'osais, je dirais qu'il y a du Maupassant dans certains textes, un Maupassant élevé au beaujolais et au tablier de sapeur, qui aurait partagé quelques moments privilégiés avec Frédéric Dard et Michel Audiard.
Je pourrais continuer à évoquer le plaisir que j'ai pris à lire ces textes d'un «penseur sans bagages», d'un auteur qui, sans se prendre au sérieux, écrit superbement. Mais je vais m'arrêter là car, comme le dit le grand Jacques, «il est tard Monsieur, il faut que je rentre... chez moi»
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