Si certaines sont impressionnantes et effrayantes, d'autres sont drôles et rassurantes !
«Mehdi se sécha, enfila un tee-shirt propre et un pantalon de toile, et il chercha au fond de sa sacoche le livre qu'il avait acheté pour sa fille. Il poserait sa main sur son épaule, il lui sourirait et lui ordonnerait de ne jamais se retourner. "Mia, va-t'en et ne rentre pas. Ces histoires de racines, ce n'est rien d'autre qu'une manière de te clouer au sol, alors peu importent le passé, la maison, les objets, les souvenirs. Allume un grand incendie et emporte le feu."» Enfants de la troisième génération de la famille Belhaj, Mia et Inès sont nées dans les années 1980. Comme leur grand-mère Mathilde, leur mère Aïcha ou leur tante Selma, elles cherchent à être libres chacune à sa façon, dans l'exil ou dans la solitude. Il leur faudra se faire une place, apprendre de nouveaux codes, affronter les préjugés, le racisme parfois. Leïla Slimani achève ici de façon splendide la trilogie du Pays des autres, fresque familiale emportée par une poésie vigoureuse et un souffle d'une grande puissance.
« Peut-on être à la fois d'ici et de là-bas ? »
Dans ce troisième volet de la trilogie Le Pays des autres, on retrouve Mathilde, Amine et leurs descendants des années 1980 à 2018. On y suivra plus particulièrement les deux filles de Mehdi et d'Aïcha, Mia et Inès et leur soif de liberté et d'émancipation. Magistral !
Avouons-le, le temps nous a paru long entre Regardez-nous danser, la deuxième partie de la trilogie Le Pays des autres, paru en 2022 et commencée en 2020 avec La guerre, la guerre, la guerre. On se disait que le prix Goncourt 2016 pour Chanson douce s'était perdue entre ses nombreuses sollicitations. Mais il n'en était rien, bien au contraire. Leïla Slimani était seule, mais sans pouvoir écrire. Comme elle l'explique dans une préface éclairante, la pandémie l'a rattrapée. Elle n'a pas seulement perdu l'odorat et le goût, mais aussi sa force de concentration, son inspiration de romancière. Il lui aura fallu de longs mois avant de reprendre un rythme régulier et le chemin de ce pays des autres.
Si ce troisième volet peut se lire indépendamment des deux précédents - les principaux personnages sont présentés en courtes biographies - on ne peut que conseiller la lecture des deux premiers tomes pour avoir une vue d'ensemble de cette œuvre remarquable à plus d'un titre et pour retrouver avec ce troisième tome de vieilles connaissances !
Nous sommes désormais dans les années 1980, au moment où Mehdi, après avoir été chef de cabinet au ministère de l’Industrie et dirigé, jusqu’en 1976, la Fédération de football, se voit confier la direction du Crédit Commercial du Maroc. Cette banque, au service du développement des infrastructures et du tourisme, était mal ou pas gérée. En travaillant plus de dix heures chaque jour, il va réussir à transformer l'établissement et à en faire un fleuron de l'économie marocaine. Et susciter des jalousies qui finiront en tragédie. Mais pour l'heure, son emploi du temps l'éloigne de son épouse Aïcha et de sa fille Mia qui auraient pourtant bien besoin de son soutien. Aïcha parce qu'elle est sur le point de mettre au monde Inès, sa seconde fille et Mia parce qu'elle est dans la période de sa vie où son corps se transforme et voit d'un très mauvais œil arriver la concurrence au sein du foyer. Après un grave incident, qui mettra en danger la vie du nouveau-né, elle trouvera un semblant d'équilibre, avant d'être confrontée à de nombreux défis au sein d'une société fermée. Adolescente, puis jeune femme, elle ne pourra revendiquer son homosexualité, choisira de partir pour Paris puis Londres, rêve de devenir une écrivaine célèbre dans le monde entier.
Sa grand-mère Mathilde est sans doute celle qui croit le plus en elle, regardant en avant alors que son mari Amine ressasse ses souvenirs. « Il s’y immergeait avec délice, non pour fuir le présent mais parce qu’il était convaincu de ne plus avoir d’avenir. À soixante-treize ans, il était encore un homme vigoureux, capable de marcher plusieurs kilomètres et de lire sans lunettes. Mais il se sentait inutile. « Plus personne n’a besoin de moi », se répétait-il, et la nostalgie l’envahissait. Comme il regrettait cette époque où ils se battaient contre l’humiliation, où ils étaient tout entiers tendus vers un avenir à construire pour leurs enfants. » Au moment où sa vie décline, il n'a qu'une obsession, trouver un successeur pour la ferme qui est l'œuvre de sa vie.
En choisissant de centrer son roman sur la troisième génération des Belhaj - c'est-à-dire la sienne - Leïla Slimani nous offre sans doute une histoire intime. Autour de la question de l'identité, de racines multiples et de cette envie de ne renier ni celles d'ici, ni celles de là-bas, elle brosse un portrait sans fard des déchirements qu'accompagnent ce choix.
Si le père de Mia lui enjoint d'oublier « ces histoires de racines », pour qu'elle puisse prendre son envol et lui dit « allume un grand incendie et emporte le feu », elle ne pourra faire l'économie de la solitude et du froid, d'un travail acharné et du racisme ordinaire. L'exil est toujours une souffrance.
Au moment de clore cette trilogie, on ne peut qu'admirer une fois encore le talent de Leïla Slimani qui nous apporte une étincelante démonstration des pouvoirs de la littérature.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici ! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
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Voilà un livre que j’attendais avec une grande impatience !
Dans ce troisième volet de la saga familiale « Le pays des autres », Leïla Slimani poursuit le destin de la famille Belhaj avec la troisième génération, Mia et Inès qui naissent dans les années 80.
Le personnage de Mia, projection littéraire de Leïla Slimani, lui permet de se livrer comme jamais dans un roman. Parce qu’elle l’a vécu, elle décrit avec justesse la complexité des sentiments de ses personnages, leurs contradictions, leur désir d’émancipation et la fougue de leur jeunesse. Avec un style incisif parfois tendre, souvent cruel, elle interroge sans cesse la notion d’identité. « Peut-on à la fois être d'ici et de là-bas?»
J’ai trouvé que l’écriture de Leïla Slimani prenait un nouveau souffle avec ce dernier opus qui clôt la série en apothéose avec une rare intensité littéraire. Les chapitres alternent entre des instants de vie des différents personnages et les monologues d’Aïcha, génération pivot entre tradition et modernité, qui sont si profonds. Le personnage de Medhi m’a particulièrement touchée, avec quelques pages poignantes sur l’amour d’un père pour sa fille. Un condensé amour vrai et déchirant : celui qui permet la liberté.
Ce livre m’a émue, secouée, interrogée. Les personnages sont complexes et criants de vérité, avançant constamment sur une ligne de crête; entre les racines qui donnent une identité et celles qui emprisonnent, entre deux cultures, des prises de position et des non-dits. En maîtrisant avec brio cet entre-deux ambivalent, Leïla Slimani tente de répondre à cette question fondamentale et universelle: quel est donc ce pays des autres ?
« Elle n'était plus d'ici mais elle ne serait jamais de là-bas. »
Un grand merci à @editions_gallimard qui m’a permis de lire ce livre avant sa sortie.
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