"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Publié pour la première fois en 1979, Le Détour est le fruit de vingt-cinq années d'écriture. Il relate le parcours de Luce d'Eramo qui, élevée dans une famille de dignitaires fascistes, partit de son propre chef en Allemagne en 1944 pour intégrer un Lager, un camp de travail nazi. S'il demeure méconnu en France, Le Détour rencontra immédiatement en Italie un immense succès et connaît depuis quelques années une nouvelle vague de traductions dans le monde entier. La force et l'acuité de ce texte - qui traque aussi sans complaisance les travestissements de la mémoire - le rattachent de fait aux plus grands témoignages de femmes sur l'expérience des camps, tels ceux de Charlotte Delbo et de Ruth Klüger.
Nous devons la découverte de ce livre à ce passage des Carnets de Goliarda Sapienza : « ?Fini de lire Le Détour de Luce d'Eramo, assurément le plus beau livre de ces dix dernières années et peut-être un chef-d'oeuvre absolu?; cela m'obligera à relire Si c'est un homme et Le?Dernier des Justes, pour vérifier ce que je soupçonne. C'est-à-dire que le livre de Luce est le plus actuel sur ce sujet, le?plus durement approfondi dans la démonstration de l'aventure nazie, le plus polémique et courageux.?» L'originalité du Détour tient de fait à ce que vécut Luce d'Eramo durant la Deuxième Guerre mondiale mais aussi au difficile processus de remémoration dans lequel elle s'engagea par la suite, et dont le livre témoigne. Les textes qui composent ce récit ont été écrits successivement en 1953, 1954, 1961, 1975 et 1977. Ils sont présentés dans l'ordre chronologique de leur rédaction, et non dans celui des événements qu'ils décrivent. La confusion qui en découle parfois répond à celle que connut Luce d'Eramo, aux esquives de sa mémoire et aux détours qu'elle emprunta avant de retrouver la cohérence de son histoire.
À sa publication en Italie, en 1979, le livre rencontra des centaines de milliers de lecteurs. En se plongeant dans ce texte, il revient au lecteur francophone de vivre à son tour - au-delà de l'histoire stupéfiante d'une adolescente idéaliste faisant volontairement l'expérience des camps nazis - l'expérience d'une femme en quête de sa vérité.
Un livre surprenant et dérangeant.
Un autre regard sur la seconde guerre mondiale dans l’Allemagne nazi, un éclaircissement inédit sur ce que j’ai pu lire sur le sujet, un pas de côté qui éprouve notre tolérance, questionne longuement.
Luce d'Eramo était une femme impressionnante.
Plus qu'un récit, une recherche autour de la langue pour mieux préciser son propos avec plusieurs parties écrites à différents moments de la vie de l’autrice. Les souvenirs tardent parfois à s’éclaircir (ou refusent d'émerger).
Une réflexion sur ce que veut dire témoigner, faire récit de soi avec les manquements que cela suppose. Inconscient ou pas.
Une réflexion poussée sur l’écriture, sur la mémoire, sur la construction identitaire lorsque s'amoncelle les discordances et sur le besoin d'appartenir notamment dans la jeunesse.
Puis pour ne pas perdre de vue les différences de traitement entre les engagés volontaires et les autres, les prisonniers politiques et les autres, j’ai regardé Les quatre sœurs de Claude Lanzmann. (En ce moment sur Arte)
Remettre les choses à leur place. L’un n’empêche pas la cruauté de l’autre. L’un n’empêche pas que le point de départ est la misère sociale qui accable, les inégalités qui enterrent.
Pour autant, certains se sont vu dépossédés de toute humanité en une élection, et leurs religions ou leurs communautés, leurs handicaps ou leurs orientations sexuelles les ont déterminés moins vivants que les vivants. Souvent mort avant de tenter la survie.
Ne pas oublier.
Une leçon de résilience qui nous fait relativiser nos déboires actuels tant les épreuves que traversent Luce d’Eramo sont extrêmes. Le point de départ est déroutant. L’auteure, issue d’une famille fasciste avec laquelle elle se dispute, décide d’aller voir à quoi ressemblent les camps de l’Allemagne nazie, histoire de démontrer que le Troisième Reich est à la hauteur de ses convictions. Elle déchantera rapidement. De lager en lager (p79), elle découvre l’horreur nazie et devient plus qu’une résistante : une opposante idéologique au système totalitaire. Elle ne craint pas de braver les chiens qui la menacent, d’affronter la foule qui la traite d’espionne ou de collabo, et même de fomenter une grève chez IG Farben ! Sa force de caractère en fait une survivante. Ni la mort-aux-rats, ni le froid, ni le mur qui l’assomme, ne la tueront. On a beaucoup écrit sur les camps. Ici, trois choses m’ont subjuguée : son jugement sur la société des hommes (« le K-lager n’était pas une réalité autre, mais seulement une exaspération inouïe de l’ordre extérieur »), son analyse de la mécanique nazie (« la haine contre les nazis devenait une passion exclusive et non un facteur de cohésion sociale entre internés ») et l’introspection sans concession qu’elle entreprend pour retrouver son passé, et sa santé mentale (p320-.400) Une auteure à découvrir après Levi, Semprun, Arendt ou Kertész.
Bilan :
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