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«Où s'achèvent les rêves, où commence le réel? Les rêves proviennent de l'intérieur, ils arrivent, goutte à goutte, filtrés, depuis l'univers que chacun de nous porte en lui, sans doute déformés, mais y a-t-il quoi que ce soit qui ne l'est pas, y a-t-il quoi que ce soit qui ne se transforme pas, je t'aime aujourd'hui, demain, je te hais - celui qui ne change pas ment au monde.» Jens le postier et le gamin ont failli ne pas sortir vivants de cette tempête de neige, quelque part dans le nord-ouest de l'Islande. Ils ont été recueillis après leur chute par le médecin du village. Nous sommes au mois d'avril, la glace fondue succède à la neige et au blizzard. Après avoir repris des forces, il leur faudra repartir, retrouver une autre communauté villageoise, celle de la vie d'avant...Après Entre ciel et terre et La tristesse des anges, Jón Kalman Stefansson clôt avec ce volume une trilogie bouleversante qui a pour toile de fond l'Islande de la fin du XIX? siècle.
Je ne vais rien ajouter à la critique de Chantal Lafon sauf ceci : quel que soit le livre par lequel vous découvrirez cet auteur, vous voudrez lire les autres et jamais vous ne regretterez le voyage, aussi bien intérieur qu'en terre islandaise, qu'il vous offre.
Le cœur de l’homme – Jon Kalman Stefansson
Où s’achèvent les rêves, où commence le réel ?
Le gamin après avoir passé l’hiver et côtoyé la mort avec le postier est de retour et le printemps se faufile dans les pages.
Dans ce dernier volet, ce roman parle d’amour, de mort et de doute
Au printemps, on s’endort dans la lumière et on s’éveille dans la clarté. On y apprend que le printemps est fragile, l’été inexistant. Un livre une fois encore doux dans la résurgence de la vie en Islande.
Pour donner un sentiment global à cette trilogie, Jon Kalman Stefansson nous fait traverser ses pensées islandaises fortifiées d’une belle qualité morale sans doute couplée par un climat capricieux et venteux. On y retrouve cette écriture poignante à décrire des conditions de vie de ces personnages qui luttent dans des paysages délimités de tout repère. Certains y apprécieront, c’est vrai, une grande émotion de cette envie de partage dans un univers austère, comme, et je le partage encore, une frustration par la forme chaotique de l’histoire qui doit provenir du climat qui vient s’abattre sur les lignes comme elle s’abat sur le moral de l’auteur. Cela dit, cette trilogie l’a fait connaître dans le monde entier et je garde en moi un grand auteur par sa marque de fabrique.
Le cœur de l’homme Jón Kalman Stefánsson
Traduit par Éric Boury – Folio
Dernier tome de cette sublime trilogie. L’exemple type pour moi de ce qu’est un bon livre : celui dans lequel le lecteur a envie de s’attarder pour en apprécier les subtilités. Une certitude aussi, dans quelques années je la relirai avec autant de plaisir et j’y ferai d’autres découvertes, car c’est une histoire foisonnante d’une écriture somptueuse.
Le blizzard a failli engloutir le gamin et Jens. Mais ils sont à l’abri, bien vivants, dans ma maison du docteur, le temps pour eux de se refaire une santé.
Seulement six jours se sont écoulés depuis son embarquement avec Jens. Une éternité en intensité, un temps étiré.
Le gamin a encore plus de mots dans la tête et il ose les utiliser de sa propre initiative. Il écrit deux lettres qui vont changer la vie de leurs destinataires. Il va ainsi prendre conscience des choses.
« Vivre. Ne pas oser parler. Ne pas oser avoir peur. Ne pas oser se battre et triompher des…des tempêtes qui nous agitent. Si on reste les bras croisés, on trahit tous ceux qui nous sont chers. Pour peu qu’on ait des êtres qui comptent pour nous, je veux dire, des êtres qui soient en vie. »
Le retour à la vie d’avant, oui mais, avec une autre capacité à s’insérer dans la communauté. Chacun va avoir à cœur de parfaire son éducation et de le révéler à lui-même.
Le printemps est là, saison de l’éclosion.
« Les traductions, il est difficile de dire à quel point elles sont importantes. Elles enrichissent et grandissent l’homme, l’aident à mieux comprendre le monde, à mieux se comprendre lui-même. Une nation qui traduit peu et ne puise sa richesse que dans ses propres pensées a l’esprit étroit, et si elle est nombreuse, elle devient en plus un danger pour les autres car tant de choses lui demeurent étrangères en dehors de ses propres valeurs et coutumes. »
La vie grouille, la nature gronde. Chacun son rôle, sa place.
« …maintenant que la tempête s’est figée et que les gouttes de pluie ne sont plus des gouttes, mais des yeux transparents. Et ce que les yeux voient, ils le disent au ciel. »
Chacun des personnages est ancré dans cette communauté, mais chacun a ses failles et trouve refuge où il peut, à sa façon et ceci sans jugement.
La vie est multiple et ici elle est décrite avec la simplicité des poètes qui mettent en chaque chose de la lumière.
La géographie a toute son importance dans ces destinées et les protagonistes sont telles les fourmis, une colonie en mouvement.
Empreint d’une grande humanité sans concession qu’il est possible de résumer en « se forger une âme robuste. »
Chaque acte a ses conséquences et certains se croient autorisés à le rappeler.
Le lecteur suit le gamin dans ses apprentissages livresques mais aussi sur le terrain d’un quotidien rude, où chacun a à cœur d’œuvrer à ce qu’il puisse développer une vie intérieure intense.
Je sors éblouie de cette histoire à nulle autre comparable. Une fin en apothéose.
Par le fond et la forme c’est un hymne à la littérature.
Il y a un tel foisonnement d’idées, d’images et d’humanité que le lecteur se laisse porter, puis interrompt sa lecture pour mieux savoureux et l’auteur l’emporte par la puissance de sa virtuosité.
« Vis !
Tels furent les derniers mots qui lui vinrent de sa mère. Son ultime conseil. Vis, instruis-toi, ne laisse pas la misère t’étouffer et ne te laisse pas écraser par les déceptions.
Nous avons le devoir de vivre debout, on ne saurait vivre autrement. »
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 14 avril 2020.
Fin de la trilogie (1- Entre ciel et terre, 2- La tristesse des anges et 3- Le cœur de l'homme)
Le "gamin" n'en est plus un, on est estomaqué une troisième fois par la qualité évocatrice de la langue, la poésie pure que déploie Jon Kalman Stefansson (bravissimo à Eric Boury) pour nous ensorceler.
Ce jeune homme est riche de sa langue de la poésie lui-même, il avance dans l'existence avec des valeurs qu'on peut lui envier.
On sort de ce dernier opus, sonné et envahi de chagrin.
Absolue réussite!
Magnifique !
J'ai lu cette trilogie lors d'un séjour de trois mois en Islande.
Que du bonheur !
Découverte d'une Islande du XIX ème siècle, pauvre, rude, froide.
Plaisir de retrouver le soir des paysages parcourus dans la journée.
Émotions de retrouver dans les musées l'écho des livres et dans les livres le reflet de la vie en Islande à cette dure époque.
Miraculeusement rescapés d'une terrible tempête de neige, le Gamin et Jens le postier ont trouvé refuge à Sléttueyri, chez le médecin du village. Remis sur pieds, ils se séparent, Jens pour retrouver son père, sa sœur et, peut-être, la femme qu'il aime, le Gamin pour rentrer chez Geirþrúður où l'attend l'enseignement de Gislí , le directeur de l'école. L'hiver a enfin laissé la place aux printemps et le Village reprend vie sous un maigre soleil. Les hommes sortent de leur léthargie, pour le meilleur et pour le pire. Le mode de vie de Geirþrúður , riche et indépendante, ne plaît pas aux maîtres du Village qui cherchent, et trouvent, le moyen de la faire plier. Pour protéger sa petite communauté, le Gamin n'a que les mots...Les mots font rêver, libèrent, apportent l'espoir d'une vie meilleure mais ils sont inefficaces face aux bas instincts de l'homme. Pourtant, le Gamin continue de les envoyer, pour sauver une femme, pour réunir des amoureux, et il en reçoit aussi, qui viennent de Sléttueyri, et d'une rousse aux yeux verts qui l'a sorti de l'hiver d'un baiser et a colonisé son cœur.
C'en est fini des voyages pour le Gamin. L'aventure cède la place à l'introspection et Jon Kalman Stefansson sonde le cœur des hommes qui sans cesse oscille entre bonheur et désespoir. C'est au premier que les hommes aspirent, malgré la boue, les tempêtes, les deuils, l'alcool, la violence mais parfois ils sombrent dans le second. Parce que les riches seront toujours plus forts que les pauvres, parce souvent le sexe prend le pas sur l'amour, parce que le courage parfois manque pour vaincre la peur. Le Gamin amoureux des livres, étranger au monde viril qui l'entoure, cherche son chemin vers le bonheur. Pauvre, peu habile des ses mains, il est en marge, mais reste riche de tous les poèmes appris par cœur, fort de sa dignité, fier de ses mots qui peuvent sauver, consoler, dire l'amour.
Avec Le cœur de l'homme, Stefansson clôt une trilogie rude, poétique et profondément humaine. Être soi pour ne pas se trahir, ne pas abandonner ses rêves, ne jamais renoncer à ses aspirations, voilà les leçons que la vie a inculqué à ce gamin dont le nom nous demeure à jamais inconnu et que l'on quitte avec tristesse. Il restera, de ces trois livres, la glace islandaise, les montagnes, la neige, la mer à la fois hostile et nourricière et une pléiade de personnages attachants, des hommes et des femmes rugueux qui ont affronté des drames, goûté des instants de plénitude, qui ont combattu la mort ou l'ont accueilli comme une délivrance. Un grand écrivain et un pur bonheur de lecture.
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