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SEPT QUESTIONS A RENE CORONA1/ Une autobiographie en quelques mots.Je suis né à Paris, vers la fin du mois de novembre, en 1952. Et en noir et blanc. Les couleurs sont arrivées après. Mes meilleurs souvenirs sont restés ancrés à cette enfance et à ces nuances infinies. Après, j'ai connu deux autres langues, le dialecte de la Vénitie et l'italien, c'est pour cette raison que l'on dit que je suis bilingue (cependant le dialecte n'est pas l'italien, je dirai trilingue, ou plus simplement atrabilaire bilingue ou « atrabilingue »). La mélancolie remplit le vide que me laisse la poésie quand elle s'en va. Et dans la vie de tous les jours elle me quitte souvent, mais je ne lui en veux pas puisqu'elle revient. J'ai lu presque tous les livres, plus particulièrement ceux des auteurs méconnus, pour un sens de justice envers eux. En fait, pour un CV très court : je vis en Calabre, je travaille en Sicile, je m'inquiète en Italie, je me désespère en Europe, je me tourmente dans le monde entier.2/ Comment répondre à une injonction brusque : « Définissez la poésie. »C'est la nécessité de ma vie. De même que Louis Calaferte qui a écrit dans ses Carnets : « J'ai joué ma vie sur la poésie ». Mais je crains la poésie, j'ai toujours peur de la décevoir, comme une vieille amie qui s'attendrait de ma part à plus et que je n'aurais pas assez aimée. Peut faire mieux, écrivaient nos maîtres d'autrefois. Calaferte, toujours lui, disait que « la Poésie c'est une enfance », j'ajouterai c'est l'enfance - ses jeux, ses désirs, ses envies, ses joies, ses peines -, retrouvée comme l'éternité.3/ Prose et poésie, la distinction a-t-elle un sens ?Oui et non. D'ailleurs Mahmoud Darwich a écrit dans un de ses plus beaux livres Présente absence que « Le poète est perplexe entre prose et poésie » et que « La prose est la voisine de la poésie et la promenade du poète. » Et c'est agréable de se laisser aller aux digressions de la prose, cheminer entre virgules et points-virgules. Le problème c'est que souvent les choses dites dans le poème reviennent en catimini dans la prose. C'est ce qui arrivait aussi à Baudelaire, après tout, et bien avant moi... En fait, je crois que l'on ne se répète pas vraiment, tout simplement la phrase ne s'arrête pas à la moitié de la page mais continue avec la pensée et, par conséquent, les mots. 4/ De la forme (et du formel) en temps de crise.Dans un univers qui se liquéfie, la forme et le formel ont leur importance. Il m'arrive de penser au sonnet et aux vers réguliers. S'ancrer à la forme permet de mieux creuser le sentiment et de le réduire à son essence, et dans un monde où le superflu et le superficiel (et tous les supers médiatiques) dominent, ce serait une façon de les contrer. Mais la plupart de mes poèmes sont en vers libres, sans que je sache vraiment pourquoi, car me laissant transporter par le « faire », alors je recherche le formel dans la rhétorique et dans la musicalité des mots.5/ Quel avenir pour la poésie ?Nous pouvons rêver et penser que demain on demandera aux poètes ce qu'il faut faire pour sauver la planète et pour amadouer le terrible de notre condition humaine. Dans un monde où la vie des uns ne vaut pas grand-chose pour les autres, il est difficile de penser que ces autres s'arrêteront un instant de massacrer, de violer, de torturer, de tricher, pour lire un poème. Mais tout est possible. Il est vrai qu'il existe des tortionnaires qui aiment la poésie et que les nazis écoutaient du Bach et lisaient Hölderlin, mais ce n'est qu'un hasard qui fait mal les choses. Ce qui m'attriste profondément c'est qu'elle paraît disparaître des librairies et que les jeunes gens la trouvent ennuyeuse. Il faudrait s'inventer une chaîne télévisée qui ne parle que de poésie. C'est un rêve. La poésie est rêve.6/ La part de la prosodie dans l'élaboration du poème.La musique et le rythme sont pour moi très importants. J'obtiens une certaine musicalité en utilisant les figures de rhétorique traditionnelles, allitérations et paronomases. On revient toujours au premier vers de Valéry offert par les divinités. Si la musicalité est déjà présente, le poème s'écrit tout seul.7/ La place de la traduction dans l'écriture poétique.On traduit parce que l'on est malheureux. Du moins, je traduis quand je suis déprimé. Cela me fait du bien. Probablement j'attrape quelques éclats du texte que je suis en train de traduire et qui restent attachés à mes doigts, accrochés à mon émotion et à mes cheveux, comme la poussière des étoiles sur le bout des doigts quand on caresse un chat, ou comme les poèmes que Stefano Terra garde en soi, par manque de papier, dont parlait Henri Calet. Ou quelque poussière dans les yeux qui oblige le regard à se poser autre part, de l'autre côté du quotidien. La traduction donne les clés du royaume magique et Marina Tsvetaieva disait qu'écrire de la poésie c'est déjà traduire. Tout est familier, comme le rêve verlainien. Gesualdo Bufalino parlait de sfida carnale, défi charnel, Pascal Quignard que l'amour de la traduction est de se laisser soumettre à un texte dominateur. Connaître un autre à travers nos mots qui se glissent sous ses mots laisse sûrement des traces dans l'écriture de l'après. Ce n'est pas simplement de l'intertextualité, c'est une forme d'amour et de respect.
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