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Une plongée dans le travail de l'artiste portugaise Isabel Carvalho, entre pratique plastique et pratique d'écriture, à partir d'un projet mené autour de l'histoire du centre d'art Le Lait, Albi.
Au cours des dernières années, le travail artistique d'Isabel Carvalho a continuellement réuni pratiques plastiques et pratiques d'écriture. Il y réside une forte composante de recherches qui croisent les approches scientifiques et spéculatives comme méthodologie. En 2017, elle a notamment monté un projet de revue intitulée Leonorana qui déploie à l'occasion ce type d'explorations. Ce qui intéresse principalement Isabel Carvalho, c'est d'établir des relations significatives entre la pratique de l'art contemporain, le langage, l'économie, la politique et la sexualité. Solidement entrelacés, ces points se manifestent différemment au gré des occurrences formelles et spatiales. Nourrie par des références croisées, Isabel Carvalho questionne des espaces du réel. Héritière d'une certaine tradition portugaise issue d'une forte relation entre les arts plastiques et le format livresque, le texte, la lecture, l'écriture sont aux fondements de sa recherche. Elle aime penser alors l'agencement de ses travaux en relation avec le contexte dans lequel ils se déploient.
À partir de l'histoire du centre d'art Le Lait, Albi, hébergé dans une ancienne bibliothèque de la ville - précédemment demeure de l'Amiral de Rochegude dès 1787 -, Isabel Carvalho a imaginé pour l'exposition « Langages tissés » une série de pièces inédites qui propose de nouer son travail sur le langage avec la singularité d'Albi et de cet hôtel particulier. Elle s'est tout particulièrement intéressée à son ancien propriétaire, Henri Pascal de Rochegude et à sa passion pour la littérature. Rompu aux études philosophiques et sociales, Rochegude se retira de son mandat de maire d'Albi et de la vie publique à l'âge de 58 ans. Sa bibliothèque personnelle contenait une grande variété d'ouvrages dont quelques uns, jugés subversifs, furent brûlés en 1834 par les héritiers de la famille, ce afin de lui assurer des obsèques religieuses.
Isabel Carvalho a exploré le contenu de cette bibliothèque en s'intéressant à l'existence de ces ouvrages interdits, notamment celui d'un auteur italien dont elle a retrouvé la trace, Gianfrancesco Straparola, avec son plus célèbre recueil de contes de fées grivois et fantastiques, intitulé Les nuits facétieuses. À partir de cette lecture, elle s'est intéressée à une autre référence italienne qu'elle convoque comme antithèse à Straparola, à savoir Urania de Giulia Bigolina, sorte de roman qualifié de proto-féministe qui, au travers de la prose et de la poésie, offre un contrepoint à la représentation féminine volontairement misogyne que l'on trouve chez Straparola. Ces deux références, datant toutes deux du 16e siècle, ont chacune eu une importance dans l'histoire de la littérature et celle de leur genre. C'est précisément en tissant des liens avec les formes langagières que l'artiste a construit une série de réponses formelles s'appuyant sur ces deux références littéraires et leur potentiel expérimental à leurs époques. Cet espace dialogal est suggéré par deux installations successives. La première, illustrant une forme de logorrhée à la Straparola, se compose d'éléments en verre qui émettent un son sans retenue, traversant la salle au gré des courants d'air, tandis que la seconde, représentant un doigt levé inspiré de l'iconographie médiévale, se tient en attente d'une possible déclamation par Bigolina. Dans la dernière salle, c'est la figure de Sainte Cécile, icône de la cathédrale d'Albi et patronne des musiciens, qui propose une alternative au dialogue verbal par la puissance de communication du chant comme art supérieur. Plutôt qu'une opposition, Sainte Cécile se pose une alternative à la question de la représentation et à la puissance verbale.
Partant de l'exposition pensée et réalisée pour le centre d'art, cet ouvrage est une plongée dans le travail d'Isabel Carvalho et le processus de fabrication qu'elle lui a orchestré en mettant à jour des points de vue selon différents degrés de proximité avec le projet : la curatrice, Estelle Nabeyrat, propose une introduction et décrive sa genèse ; l'artiste elle-même invite le lecteur le temps d'une visite guidée. Et, à distance de l'exposition, Ricardo Nicolau en fait le commentaire après une traversée subjective de son oeuvre.
Publié suite à l'exposition éponyme au centre d'art Le Lait, Albi, en 2021.
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