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«Voici l'aurore, la nuit craque de tous les côtés. On la croyait éternelle. On aurait dû dormir. Puisque voici un nouveau, un immense jour jusqu'à ce soir. Tout est déjà passé. Tour est déjà passé de l'autre côté, déversé dans le gouffre où les jours s'entassent lorsqu'ils ont été vidés, et la mort de Jérôme, et ma vie qui traîne le long des années et de mon âge sans y entrer jamais.»
« La Vie tranquille » est une belle surprise dans l’œuvre de Duras. Ecrit en 1944, il a les prémices de son style d’écriture futur, une sorte de transposition en France métropolitaine de ce que sera « Un barrage contre le Pacifique » mais sans l’ironie mordante et désabusée puis de « L’Amant » et de « L’Amant de la Chine du nord ».
Marguerite est d’abord Francine, celle qu’on ne voit pas, celle qu’on rabaisse toujours à l’état d’enfant, celle qui étouffe dans le huis clos familial, celle qui attend un évènement qui la pousserait ailleurs, celle qui a un corps qui a envie de plaisirs, celle qui aime Tiène qui ne tient jamais longtemps à la même place, celle qui aime son petit frère d’un amour incestuel, celle qui ne s’aime pas mais qui s’aime pourtant assez pour vivre. C’est une très belle plume sur les méandres intérieurs d’une jeune femme qui ne sait pas qui elle est, qui ne se sent regardé par personne, et dont le non-sens de l’existence l’étouffe.
Le roman est construit en trois parties, sans vraiment de dialogues. La première partie est le huis clos familial, l’invisibilité de Francine, son amour pour Nicolas, ce frère aimé de tous, Tiène passé par là comme un tiers extérieur à la famille. Il y a aussi Clémence, la femme de Nicolas que Duras décrit avec un mépris terrible (elle est bête et laide, elle s’est laissée bêtement engrossée). Il y a encore Jérôme, l’oncle (frère de la mère de Francine) qui ressemble tellement à Pierre, pique assiette et beau-parleur, endetté et ruinant la famille, celui qui couche avec Clémence et qui empêche Francine de coucher avec Tiène. Clément avec son chien, un vieux « fou » des montagnes, la belle Luce qui convoite Nicolas avant de convoiter Tiène. On comprend dès lors que si Francine raconte l’adultère de Clémence à Nicolas c’est peut-être aussi par jalousie. Nicolas va tuer Jérôme et c’est sur elle qu’on fera porter une culpabilité silencieuse. Dès lors, la place est libre pour Luce. Sauf que cette dernière va changer d’avis pour Tiène. Francine ne veut rien voir du piège qui se referme sur elle. Elle continue dans son rêve silencieux, tu. Il ne faut jamais parler, ne jamais dire.
La deuxième partie est un chant sur une très belle sur la tristesse d’une vie sans aucun sens, face à la mer. On comprend dès lors d’où vient la passion de Duras pour cet élément à la fois vivant et mort. Tiène a donné de l’argent à Francine pour qu’elle parte se changer les idées à la mer (pour qu’elle dégage surtout). C’est aussi la mort qui rôde autour de Francine qu’elle regarde d’un oeil distrait. Le rejet de tous sur son indifférence générale. C’est aussi une très belle partie sur le désir féminin.
La troisième partie est courte, comme une utopie. Francine revient à la ferme. Tiène a déjà tout réorganisé comme le maître des lieux, Luce est là à ses côtés tous les soirs et il joue de la musique pour ses parents à elle. Couchée par un coup de froid sérieux chez Clément, la fin est une illusion. Ce n’est que le rêve de Francine dans son délire fiévreux : Tiène la choisit, Tiène se marie avec elle, elle n’écrira jamais ( !), elle va lui donner de beaux enfants qui dormiront dans le lit de Nicolas, désormais décédé. Francine, leur lira, comme son père lui a lu, L’homme à l’oreille cassée (l’utopie d’un amour voué à l’échec).
Cette troisième partie donne le titre de ce roman « La vie tranquille ». Cette phrase est comme une comptine, une berceuse, une illusion racontée à une enfant pour la rassurer. Elle n’y croit pas, nous n’ont plus.
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