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L'ouvrage de Katherine L. Battaiellie est un prodigieux tour de force : redonner corps à la voix intérieure et secrète de Marguerite Sirvins, native de Lozère, en 1890, et qui fut admise à l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban, à l'âge de quarante et un ans, en raison de troubles schizophréniques. Dans cet établissement, après avoir pratiqué l'aquarelle et la broderie, elle compose, pensant ardemment connaître un jour le mariage et rencontrer l'époux si désiré, une oeuvre majeure de l'art brut, admirée par Jean Dubu0et : une robe de mariée, selon la technique du point de crochet avec des aiguilles à coudre et du 1l patiemment obtenu à partir de morceaux de draps usagés.
Après une minutieuse enquête sur la vie de Marguerite Sirvins, Katherine L. Battaiellie, dans un texte magistral de maîtrise et de sensibilité, nous laisse entendre un véritable 3ux de conscience sous la forme d'un monologue intérieur, à travers lequel se dessinent et se laissent approcher la 1gure d'une artiste (inclassable) à l'ouvrage d'une oeuvre (inclassable) et d'une vie (tout aussi parfaitement inclassable).
Je viens vous parler d'un livre poétique, un livre d'art, aux feuillets non reliés que j'ai trouvé vraiment très beau et dont le titre est La robe de mariée.
Cette robe existe, elle est celle de Marguerite Sirvins née le 29 décembre 1890 à Badaroux en Lozère. A l'âge de trente-cinq ans, la jeune femme quitte sa région et s'installe à Paris pour suivre une formation de modiste. Ses premiers troubles psychiatriques apparaissent, elle sombre dans une profonde dépression et tente à plusieurs reprises de se suicider. Inquiètes, ses sœurs restées à Mendes la font revenir mais Marguerite s'enfonce encore davantage dans sa maladie.
Le 7 juillet 1931, à l'âge de 41 ans, elle est internée à l'hôpital psychiatrique de Font d'Aurelle à Montpellier puis à Saint-Alban-sur-Limagnole. Elle souffre d'hallucinations, elle est agressive, paranoïaque.
Plusieurs années passent, elle semble se calmer. On est en 1944 et elle s'est lancée dans différents travaux manuels : broderie, couture, dessin, aquarelle, peinture. En 1955, elle se passionne pour la confection d'une robe de mariée, persuadée qu'un prince charmant va bientôt venir la chercher pour l'épouser. A partir des fils tirés des vieux draps de l'hôpital, inlassablement, chaque jour, elle bâtit son œuvre, au crochet, avec des aiguilles à coudre. Elle invite ses voisines et le personnel hospitalier à son mariage imaginaire, à ses noces de rêve. Son amie, Mademoiselle Jouve, écrit dans le petit journal de l'hôpital : « Mademoiselle Sirvins nous annonce son mariage le mois de Février. Elle se fait une belle robe de dentelle blanche à notre maison neuve. On est invité à cette noce, nous nous amuserons bien ce jour-là. Elle crie nuit et jour. Je ne sais pas si son mari dormira bien. »
Marguerite mourra en 1957 sans jamais avoir embrassé celui qu'elle attendait dans ses rêves...
Lorsque Jean Dubuffet constituera sa collection d'art brut, il s'intéressera à l'oeuvre de Marguerite Sirvins et à sa robe de mariée qu'il est possible de voir aujourd'hui dans la Collection de l'art brut de Lausanne.
Revenons au petit livre dont je vous ai parlé : l'auteur, Katherine L. Bataiellie fait de Marguerite la narratrice de son récit. Elle pense ou peut-être parle à voix basse en travaillant sur sa robe. Je l'imagine concentrée, légèrement penchée vers l'avant : « Il me trouvera ayant longtemps marché comme une princesse abandonnée dans son château et j'aurai déjà revêtu ma robe de mariée sinon comment me reconnaîtrait-IL et serai prête » Elle se perd dans ses rêves puis s'enfonce dans d'autres songes encore plus profonds, plus insensés : « Il m'emmènera loin d'ici dans le lieu inconnu d'où IL sera venu et le lieu m'est égal Il me donnera les clefs de notre maison sans bruits où j'habiterai ses murs seront épais et solides la lumière entrera à nouveau par les fenêtres » Elle murmure ses craintes, ses peurs : les autres femmes lui cachent aiguilles et ciseaux, se moquent d'elle, crient parce qu'elles sont jalouses, sa mère ne lui écrit pas, elle a froid. Pour supporter tout cela, elle imagine son bonheur imminent, la cérémonie, sa première nuit auprès de lui, son voyage de noces. Elle se croit jeune, ses papiers mentent, tout le monde ment.
La prose poétique de Katherine L. Battaiellie est splendide et l'on suit le monologue intérieur de cette femme, folle de désir pour un mari qui n'existe pas, pour un mariage qui n'aura pas lieu, un enfant qu'elle n'enfantera pas, une vie inventée, imaginée, rêvée qui ne sera jamais, une quête d'un bonheur en forme de mirage qu'elle poursuit inlassablement. Et ce monologue fou, insensé, ce flot de paroles d'amour et d'espoir est poignant et terrible. Car nous savons que cette longue quête ne mènera à rien sinon à la mort.
Je me retiens de recopier ici la dernière page que j'ai lue et relue tant de fois tellement je la trouve belle, émouvante de sincérité et de confiance. Elle y croit, jusqu'au bout, elle est portée par le désir d'être, de devenir enfin et, en attendant, elle se prépare, elle brode comme une Pénélope folle d'amour. Elle sent qu'elle n'a plus qu'à tendre la main et à fermer les yeux...
Katherine L. Bataiellie a su donner une voix à Marguerite et c'est magnifique d'entendre ses mots, bouleversants de vérité et d'émotion. Un très beau texte...
Lire au lit : http://lireaulit.blogspot.fr/
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