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Le second tome du Journal de Korneï Tchoukovski va de 1930 à sa mort en 1969. On y retrouve l'homme de lettres qui fait d'incessantes relectures en anglais ou en russe, qui traduit Mark Twain pour survivre à l'interdiction de son oeuvre en vers pour enfants, connue par coeur dans toute la Russie; il relit Tolstoï dont il n'aime pas l'exhibitionnisme sexuel, se console avec son cher et pudique Tchekhov, écrit de brillants essais sur l'art de traduire. Les malheurs domestiques remplissent aussi discrètement le Journal, lui arrachant parfois des accents forts.Si le style de Tchoukovski est toujours retenu, l'homme confie pourtant de temps à autre d'étonnants aveux au papier sur le sentiment d'échec qui le ronge. Echec dans l'entreprise littéraire où cet esprit pétri de culture européenne se sent un second violon, échec personnel à vivre héroïquement en un temps qui connut l'apogée du totalitarisme. Aux années de la plus grande terreur, la brièveté des notations du Journal est en soi tragique. Tchoukovski se sent calme comme la tombe pendant les grands purges: et quel tragique implicite lorsque, en 1937, il note son enthousiasme , et celui de Pasternak, au retour d'une soirée publique où Staline les a tous dominés, et même rendus jaloux d'une kolkozienne placée à Ses côtés! Mais plus tard le courage de Pasternak lui déclarant en 1958: Plutôt me faire crucifier que me renier! l'étonne et lui inspire de nouveaux doutes cruels sur soi. Akhmatova, Kouprine ou Evtouchenko lui suggèrent des notations admiratives, critiques ou hésitantes. Enfin Soljénitsyne, qui, lui, rompt avec la docilité soviétique, et resplendit solitairement, renforce la tonalité mélancolique de ce Journal. A soixante-seize ans, Tchoukovski note en anglais: How stale and unprofitable! (Comme tout est banal et inutile!).Chronique politique en pointillé, chronique littéraire obnubilante, chronique intime indirecte _ ce livre dit toute une vie d'intellectuel russe à travers deux tiers de notre siècle. Le suicide de la littérature en est un des thèmes majeurs, commençant avec celui de Maïakovski, s'achevant avec celui de Fadeïev. L'amuseur-virtuose-érudit qu'est Korneï Tchoukovski, lui, écoute ce glas de la littérature russe mais ne se suicide pas...
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