On peut envisager la vie d'Alma Mahler (1879-1964) depuis la toute fin de sentiers battus et rebattus, jalonnés d'innombrables légendes ou vérités. En dressant d'elle l'inventaire de ce qu'elle représentait à sa mort, en 1964, de ce qu'elle avait bien voulu livrer à la postérité : la muse des Arts, dont on répétait qu'elle était la femme de. la femme du compositeur Gustav Mahler, de l'architecte Walter Gropius, de l'écrivain Franz Werfel enfin ; mais aussi l'amante vénéneuse du peintre expressionniste Oskar Kokoschka, une insatiable croqueuse de génies qui resta, malgré tout, la veuve de Mahler dont elle garda à jamais le nom. Elle est aussi cette figure de mère tortueuse et d'épouse libérée que les féministes se sont empressées d'abriter dans leur panthéon germanique. On connaissait d'elle d'autre part les quelques recueils de lettres et les livres de sa plume qu'elle a laissés, dont sa fameuse autobiographie, Ma Vie, ainsi que les nombreuses études dont elle a fait l'objet. Le dossier semblait clos. Jusqu'à la parution en 1997, en Allemagne, du volumineux journal intime que la jeune Alma Schindler, 20 ans, avait patiemment tenu entre 1898 et 1902 et qu'une Alma Mahler-Werfel avait emporté trente ans plus tard dans son exil américain. Ce journal, ou plutôt ces « suites », qui éclairent la figure d'Alma d'une lumière à la fois plus intime et plus vive, s'étalent en vingt-deux carnets sur plus de trois ans, au terme desquels la belle fille-fleur qui fit chavirer les coeurs du tout-Vienne, décida en janvier 1902 d'épouser le compositeur Gustav Mahler, alors directeur de l'Opéra Impérial.
Voici pour la première fois traduite et publiée en français une sélection assez large d'extraits de ce journal intime qui figure en bonne place dans les plus récentes biographies consacrées à Alma. Un journal sous le signe des amours (Gustav Klimt, Alexander von Zemlinsky, Gustav Mahler), des Arts (la Secession), de la composition musicale et de l'Histoire. Loin de rivaliser avec les 750 pages de l'original, ce choix d'extraits s'efforce de restituer la richesse et la variété des vingt-deux « suites » : de faire revivre le fol opéra d'une jeune vie hors du commun.
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