Si certaines sont impressionnantes et effrayantes, d'autres sont drôles et rassurantes !
Thomas Thomassin, téléopérateur quasi propriétaire à Paris, mène une vie solitaire et bien réglée jusqu'à sa rencontre avec Joël, un plombier lunatique.
Après des débuts cocasses et chaotiques, une amitié naît entre eux, nourrie par une connivence artistique - Thomas a une passion secrète : le collage. Joël le pousse à travailler sans relâche pour proposer ses oeuvres à une galerie. Au centre de celles-ci se trouve la figure énigmatique d'une femme au regard inquisiteur, inspirée de sa collègue Kim-Ly qui l'a toujours fasciné. Encouragé par son nouvel ami, Thomas entame une relation avec la jeune femme.
Le trio ainsi formé libère le protagoniste de sa solitude et de sa morosité. Mais peu à peu les choses se grippent, et les intentions de Joël et de Kim-Ly apparaissent troubles...
Il y a du Haruki Murakami dans la manière qu'a Élodie Llorca de créer des personnages emmurés dans l'incommunicabilité et aux prises avec des situations frisant l'absurde. de plus, avec son art consommé du minimalisme et du hors champ, c'est décidément la plus japonaise des jeunes romancières françaises ! Elle coupe, cisaille, distille l'information et opère des choix drastiques pour laisser parler le vide. Maux de l'âme, dépression, émotions : l'essentiel se trouve dans les interstices... J'ai retrouvé avec plaisir le style ciselé et épuré de son premier roman, prix Stanilas 2016, "La Correction". Mais les choix stylistiques résonnent ici avec les collages artistiques que le narrateur de l'histoire applique sur des cartons. Disloquer pour mieux dire... Et comme dans "La correction", le protagoniste est une sorte de Bartleby stoïque, mais, ici, le désir larvé de Thomas Thomassin, employé de bureau dans une agence d'assurances, pour l'une de ses collègues, l'opaque Kim-Ly, le transfigure peu à peu en artiste contemporain. Kim-ly est son égérie, elle est le point de mire de ses collages réalisés dans le secret de son appartement. le transparent et incolore Thomas Thomassin prend de l'épaisseur au contact de la mystérieuse Kim-Ly. Deux êtres au passé familial traumatisant, deux êtres que leurs blessures rendent maladroits et incompréhensibles pour les autres. Deux êtres aux silences qui crient leur solitude. La passion du héros pour le collage naît d'ailleurs dans une galerie d'art devant une oeuvre qu'il achète à la grande surprise de l'artiste. L'oeuvre faite de matières collées représente une femme "La bouche fermée alors que tout laissait à penser qu'elle hurlait"… Si Thomas est fasciné par ce « tableau », c'est sans doute qu'il retrouve l'expression de son propre muselage… À chacun son enfance déchirée, mais, au final, c'est toujours soi qu'il s'agit de recoller, semble nous dire l'autrice. Et l'autre est toujours source de souffrance, surtout dans les relations parents-enfants…
Enfermés dans leurs coquilles, comment Thomas et Kim-ly pourraient-ils dès lors se rapprocher ? Il faudra l'intervention d'un plombier pour réparer ces coeurs fuyants. Il surgit, s'impose et nous amuse : c'est le loufoque et complexe Joël. Un plombier qui sauve les atmosphères plombées ! Un plombier qui se révèle un amateur éclairé quant aux oeuvres de Street art et qui va pousser Thomas jusque dans ses retranchements... D'abord sceptique, Thomas accepte cet insolite mentor lorsqu'il comprend que progresser dans l'art du collage grâce aux conseils du plombier Joël peut le rendre plus attractif auprès de Kim-ly. Car la douleur existentielle de Thomas, c'est un sentiment tenace d'être une source de déception pour ses parents, un « pis-aller », comme il se définit lui-même. Il n'a jamais trouvé sa place dans l'ombre de Fabrice, son grand frère, disparu trop tôt. L'art semble lui offrir l'opportunité de briller enfin dans le regard de quelqu'un. Mais, malgré la proximité de leurs corps qui finissent par se trouver, Thomas ne rencontre pas réellement Kim-ly, qui reste l'objet de son fantasme et de ses interrogations ; c'est auprès d'une certaine Rosella Blum, femme inaccessible, coincée à l'étranger, avec qui il entretient de réguliers échanges téléphoniques dans le cadre de son travail, qu'il a les conversations les plus personnelles... Sous une apparence de légèreté, un drame affleure, des relations ambiguës se nouent sous nos regards étonnés : le héros rejoue, s'en sans rendre compte, son enfance, et accepte son destin pour mieux s'en défaire. L'étrangeté habite ce texte doux-amer et l'on n'en dira pas davantage pour laisser la surprise aux lecteurs.
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