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Tandis que l'Europe commémorait les 30 ans de la Chute du Mur, avec des amies originaires d'ex pays de l'Est, nous avons eu l'idée de créer ensemble une série de textes courts proposant un panorama de nos jeunesses de l'autre côté du Mur. L'imaginaire occidental sur ce qu'a été ce monde disparu est très empreint de ce qu'ont donné à entendre les dissidents des années 1950, 1960, 1970 : l'absence de liberté, l'empêchementâ- Sans nier les pans sombres de cette histoire, il y a aussi, peut-être, une autre histoire à mettre en lumière: celle de l'égalité inscrite dans la loi et souvent dans les faits, celle de l'égalité salariale et d'accès à l'emploi, celle de l'accès à l'avortement plusieurs décennies avant beaucoup de pays de l'Ouest, celle des mythologies communistes construites sur des figures de femmes combattantes... qui ont inspiré nos parcours et nos engagements dans les pays où nous avons choisi de vivre.
Après avoir lu - et apprécié - Triptyque en ré mineur (Sonia Ristić - Ed. Intervalles), j'avais très envie de poursuivre avec ce recueil féminin et féministe, qui réunit huit nouvelles, l'une de l'auteure du roman précédemment cité, Sonia Ristić, et sept autres auteures, qui ont le point commun avec elle, d'avoir grandi dans ces pays du centre, du sud, de l'est de l'Europe, dont certains qui n'existent même plus. C'est un projet qui a été imaginé par Lenka Horňáková-Civade et Sonia Ristić, à l'occasion de l'anniversaire de la chute du mur, et supervisé par Elisabeth Lesne, éditrice. Elles ont toutes écrit en français, à l'exception de Grażyna Plebanek - retenez bien le point sur le z qui change toute la sonorité de son prénom - qui a choisi de garder son polonais natal. Elles parlent toutes le français, puisqu'elles ont toutes vécu en France, Grażyna Plebanek en Belgique. Les voici :
Elles ont déjà toutes publié, que ce soit chez Gallimard, chez feues Galaade Éditions, aux Éditions Gaïa, chez Cheyne, ou bien encore chez Alma éditeur. Elles présentent toutes leur vision de fille de l'est devenue femme à l'ouest, les changements qu'elles ont vécu, les clichés auxquels elles sont confrontées. Elles ont toutes souhaité parler de leur enfance au sein de pays, qui par leur passé communiste, sont souvent victimes des clichés qui n'ont jamais su transcender les préjugés. Et pourtant, elles le démontrent, l'ouest n'a pas le monopole du progrès, et dans certains domaines, notamment celui de la place de la femme dans la société, il reste lamentablement à la traîne. Quelques traits reviennent de leur discours à chacune, notamment le fait que l'ouest fait preuve d'un mépris et d'une méconnaisse totale concernant leur pays d'origine. Et vice-versa, l'Ouest et le système capitaliste, étaient considérés par les systèmes totalitaristes qui fut le leur comme l'ennemi de service, de la futilité, de l'égoïsme et de l'insouciance à travers les échos qui ont réussis à filtrer le mur. Si le trait est grossi par la propagande, au fond la remarque n'est pas dénuée de fondement.
Ce recueil de témoignages est une vue kaléidoscopique riche, aussi partiale que de parler d'Europe centrale et de l'est sans distinction de pays, de régions entre Balkans, Bohême, Carpates, Sudètes... Chacune, tour à tour, elles apportent de l'eau à notre moulin de curiosité, d'Européen de l'Ouest qui ne cherchait pas forcément à savoir ce qu'il y a et ce qu'il se passe derrière le rideau reste encore dressé symboliquement dans quelques esprits. Sonia Ristic l'exprime très bien "je viens d'un petit pays (...) que l'imaginaire collectif occidental situe "par là-bas". Car ce qui est valable pour les pays de l'ex-Yougoslavie, l'est pour ceux issus de la Tchécoslovaquie, mais aussi la Roumanie et les autres. Elles donnent chacune un élément qui permet de reconstituer ce système, certes différent d'un pays à l'autre, mais régit par les mêmes valeurs, empreint des mêmes caractéristiques et surtout des mêmes contingences : absence de liberté de s'exprimer, repli sur soi, culte de ses propres valeurs, parti unique, méfiance, diabolisation de l'ouest. Pour reprendre l'expression de Sonia Ristic, chacune reprend l'un des mythes fondateurs de leur existence dans leur patrie d'origine.
Leur propos n'est pas de diaboliser ou de prendre partie d'un côté ou d'un autre de l'Europe, mais plutôt de trouver un juste milieu, de retracer un lien entre ces deux Europe réunies aujourd'hui, sinon dans la même sphère culturelle, du moins dans les mêmes maux économiques, politiques et religieux. Et peut-être aussi de venir à bout de cet orgueil européen, qui à force à faire appel à de la main d'œuvre détachés à moindre coût, pense avoir affaire à un tiers-monde, le mot n'a jamais été prononcé si ce n'est par Elisabeth Lesne dans son introduction, mais c'est bien la sensation que l'on peut avoir si l'on s'en tient à certains préjugés. C'est cette volonté de construire des ponts, que j'ai ressentis à la lecture de ces textes. Ces non-fictions qui permettent aux auteures de lever le voile d'une réalité qu’elles ont d'une manière ou d'une autre abordée dans leur roman.
De constats particuliers et personnels, d'une enfance à l'est, elles possèdent un regard plus acéré sur cette société du capitalisme et libéralisme qui est la leur, qui pêche elle aussi par ses excès et ses abus dans une direction totalement différente, celle du paradis de la consommation, comme si une sorte de moyen terme était impossible à tenir. Un capitalisme exacerbé où l'on en est venu à parler de monnaie virtuelle tellement la fiduciaire "nous" est insuffisante, qui présente cinquante marques de lessive différentes comme le déclare Sonia Ristic. Toutes parlent également de cette idée du conservatisme national de chaque pays, qui ne cesse de croître. Mais il y a la douceur aussi de certains souvenirs auprès d'une grand-mère, aux odeurs d'enfance, d'une région précise qui les colle à la peau (...)
En 2019, à l'occasion de la commémoration des 30 ans de la chute du Mur de Berlin, des filles écrivaines, nées à l'Est dudit Mur se sont réunies et ont décidé de créer quelque chose ensemble. Des textes courts en français sauf ceux de Grażyna Plebanek, traduit du polonais par Cécile Bocianowski, qui parlent de leur naissance et leur jeunesse de l'autre côté du Mur. Ce recueil a été retardé pour cause de crise de COVID, et préparé pour paraître cette année. Les autrices, suite à la guerre de la Russie contre l'Ukraine, se sont réunies et chacune, a écrit un petit texte à ce sujet. Un Post-scriptum au livre.
Pour moi qui suis né au mitan des années 60, j'ai grandi avec l'idée inculquée à l'école et dans les divers médias de l'époque, que vivre à l'est du Mur de Berlin était chose compliquée. Qu'il fallait faire des heures de queue pour pouvoir acheter à manger -quand on avait de quoi-, qu'on partageait des appartements à plusieurs familles et qu'il fallait obéir aveuglément aux autorités... Et puis, ces filles racontent leur enfance plutôt heureuse voire insouciante même s'il fallait "Mimer la bienveillance envers l'autre au quotidien et en même temps se méfier de tous. Je ne me rendais pas compte à quel point vivre ainsi était épuisant." (A. Dimitrova, p.25). Dans les divers pays dans lesquels elles ont grandi : Tchécoslovaquie (actuelle Slovaquie), Bulgarie, Pologne, Roumanie, Estonie, Tchécoslovaquie (actuelle République Tchèque), Russie et Yougoslavie (actuelle Croatie), les femmes avaient des droits parfois bien plus étendus qu'à l'Ouest notamment sur l'avortement, la contraception mais aussi dans le travail où la parité était davantage respectée. A la chute du Mur, la capitalisme s'est engouffré dans ces nouveaux territoires à prospecter et envahir :"Aucun régime totalitaire n'a encore réussi l'exploit de maintenir sa population dans un état d'obéissance et d'addiction prolongée tel que celui que l'Occident a su créer par la consommation permanente transformée en moteur vital." (A. Dimitrova, p.33)
C'est intéressant de lire ces femmes, car leurs souvenirs vont à l'encontre de ce que nous apprenions et voyions, et elles soulèvent des questions importantes sur la place des femmes, leurs droits, sur les régimes totalitaires, le capitalisme débridé et la consommation à outrance...
Et puis, les derniers textes sur la guerre en Ukraine qui réveillent en elles des souvenirs, des peurs, des angoisses qu'elles croyaient enfouies : "Depuis le début de "l'opération spéciale", chaque nuit, je me traîne sans sommeil. J'ai peur qu'en dormant, les images de la Russie de Poutine reviennent se superposer en cauchemars et se confondent avec les images de mon enfance qui tétanisent encore mon corps." (A. Dimitrova, p.123)
"Nous sommes les additions des traumatismes que nous avons occultés, ainsi que de ceux que les générations précédentes, dans le silence souvent, nous ont transmis. Et il suffit parfois d'une seule image pour que tout ce que nous avons remisé dans les greniers de la mémoire resurgisse." (S. Ristić, p.148)
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