Des découvertes et des récits puissants à offrir à Noël
"On peut supposer, se dit Lala, qu'un homme n'est pas vraiment méchant quand la nature elle-même ne juge jamais bon de le punir." Lala vit chichement dans un cabanon de plage de la Barbade avec Adan, un mari abusif. Quand un de ses cambriolages dans une villa luxueuse dérape, deux vies de femmes s'effondrent. Celle de la veuve du propriétaire blanc qu'il tue, une insulaire partie de rien. Et celle de Lala, victime collatérale de la violence croissante d'Adan qui craint de finir en prison. Comment ces deux femmes que tout oppose, mais que le drame relie, vont-elles pouvoir se reconstruire ?
Derrière des paysages caribéens idylliques, un intense et poignant portrait de femmes blessées depuis des générations. Renversant de grâce et d'émotions à vif, Et d'un seul bras, la soeur balaie sa maison est un premier roman déchirant qui prouve que l'héritage des traumatismes est tenace, mais pas toujours irrémédiable.
Des découvertes et des récits puissants à offrir à Noël
La Barbade, le Paradis des riches touristes, l’enfer des pauvres natifs.
Le roman commence par un conte moral censé mettre en garde une petite fille contre les dangers d’un tunnel et plus largement de la curiosité et de l’attrait de l’interdit. Au final ce tunnel signera la perte de tous les protagonistes. Le personnage central, Lala est une très jeune femme, enceinte et mariée à un homme violent. Par une nuit sinistre elle va être amenée à rencontrer l’une des victimes collatérales de cet homme, et nous les verrons évoluer en parallèle au fil du roman.
Traumatisation secondaire, inceste, violences conjugales, prostitution, chômage, dérives policières… ce roman nous plonge dans les plus sombres aspects du déterminisme et de la misère sociale. C’est sombre, dur mais d’une beauté qui transcende absolument tout. Dans ce premier roman, Cherie Jones se livre à un véritable travail d’équilibriste, les personnages sont sur un fil : vont-ils tomber, se relèveront-ils et arrivés au bout ne seront-ils pas face à un mur?
Dure réalité dans les relations homme/femme d'un couple. Culture où l'homme dirige et soumet sa partenaire à ce que l'on appelle de l'esclavage. Mélange d'amour et d'agressivité qui est le parcours de Lala.
La Barbade. Côté face, ses cocotiers sur ciel d’azur et sable d’or, ses villas luxueuses face à la mer, et ses touristes, riches et blancs, venus oublier les longs mois d’hiver de chez eux. Côté pile, dans une ombre encore obscurcie par un si éclatant mirage, insupportable d’inaccessible proximité, la pauvreté et la désespérance de jeunes Noirs du cru sans avenir.
Malgré les mises en garde de sa grand-mère qui, à grand renfort de contes édifiants comme celui du titre, l’a élevée en espérant la protéger des mille dangers qui guettent les filles pleines de rêves, Lala a succombé au charme trompeur d’Adan, un voyou qu’elle a épousé et dont elle attend un enfant. Le couple vivote dans un modeste cabanon en bord de plage, quand Adan commet l’irréparable. Au cours d’un cambriolage foireux qui tourne au drame, il tue le propriétaire des lieux, anéantissant du même coup deux existences : celle de Mira Whalen, la veuve de la victime, que son mariage avec un riche Anglais avait inespérément élevée au-dessus de sa modeste condition d’insulaire, et celle de Lala, qui, avec son nouveau-né, fait les frais de la violence déchaînée d’un Adan aux abois.
Pour les femmes de cette histoire, l’avenir ne se décide qu’au travers des hommes. Si certaines, comme Mira, en sont conscientes et en usent pour s’offrir une meilleure existence, d’autres investissent leur vie sans calcul, éblouies par une séduction éphémère qui ne les protégera pas longtemps des pires désillusions. Dans un cas comme dans l’autre, leur dépendance est totale : dans la famille de Lala, elles subissent sans recours violence conjugale et inceste, ivrognerie et dérives criminelles de leurs maris ; dans la situation de Mira, elles perdent tout en cas de séparation ou de veuvage.
D’une plume qui jamais ne juge, mais décortique avec subtilité la macération du désespoir et de la colère, qui, au fil de générations confrontées à un clivage social abyssal, engage bien des paradis insulaires dans un engrenage de violence de plus en plus incontrôlable, ce premier roman d’une grande maîtrise met en scène de bien crédibles et poignants personnages, transformés peu à peu, et malgré eux, en hommes et femmes au bord de l’explosion. Heureusement, l’amour et le sacrifice produisent parfois leurs fruits, et, peut-être, l’espoir est-il encore permis…
Nouvelle lecture aux premières pages réjouissantes!
Bravooo Cherie JONES ! quel doux prénom et ce titre : "Et d'un seul bras, la soeur balaie sa maison" ... rassurez-vous on en devine et/ou comprend l'origine /et la portée- dès le 1er chapitre...
Je pense qu'une émotion poignante nous attend sous cette plume poétique, authentique aux accents de la Barbade "(...) mais elle garde la bouche fermée parce qu'un reste de cri s'y trouve encore."
magnifiquement traduit de l'anglais -des Caraibes- par Jessica Shapiro
Sélectionné par les jurées et découvert dans le cadre du #grandprixdeslectriceselle2022
J'ai été attirée par ce livre pour plusieurs raisons : un titre plus qu'intrigant, une couverture aux couleurs vives et chatoyantes, de la littérature étrangère après plus d'un mois immergée uniquement dans des romans français, un premier roman et une auteure de la Barbade. J'attendais un dépaysement intellectuel et je l'ai eu.
Ce roman retrace le destin croisé, en 1984, de deux femmes, nées à la Barbade :
* Mira, sauvée de la misère et de la prostitution par un riche homme d'affaires londonien bien plus âgé qu'elle, venu passer ses vacances à la Barbade, qui divorce et l'épouse. Ils sont sur l'île pour quelques semaines de vacances.
* Lala, orpheline, élevée par sa grand-mère Wilma, qui, croyant échapper à sa vie miséreuse et au manque de liberté, épouse Adan, une petite frappe violente, qui vit de cambriolages et de trafics divers. A 18 ans, elle se retrouve enceinte.
Le destin des deux femmes va se nouer le jour où Lala accouche; Adan, qui cambriole la riche maison de Mira, tue son mari. Quelques semaines après, une violente dispute oppose Lala à son mari; ils lâchent le bébé sans faire exprès et celui-ci décède quelques heures après.
Ces deux femmes sont émouvantes; chacune a perdu ce à quoi elle tenait le plus, les seuls êtres qui leur donnaient espoir en l'avenir, Mira, son mari et Lala, sa petite fille. Le responsable de cette terrible douleur est le même homme, Adan. Chacune, à sa façon, tente d'échapper à la misère et à la violence des hommes et de la société qui n'offre aucune place aux femmes.
L'auteure nous décrit une lignée de femmes (Wilma, la grand-mère, Esmé la mère et Lala, la petite-fille) qui subissent cette violence dès leur plus jeune âge, qui sont aussi des mères qui n'ont pas réussi à en protéger leur fille malgré leur volonté et leurs rêves.
Face à elles, des hommes (père, grand-père, mari) qui traitent les femmes comme de la viande qu'on viole sans remords, comme un punching-ball sur lequel on se défoule à chaque contrariété. Un seul homme, Tone, qui a lui-même subi un viol, tente de se comporter différemment.
On est bien loin de l'image qu'on se fait de la Barbade, île paradisiaque, où tout est enchanteur ; les touristes se prélassent dans des hôtels de luxe , les riches blancs construisent des maisons au style tapageur à côté des bicoques insalubres des autochtones, ignorant ou voulant ignorer l'envers du décor : la prostitution des femmes comme des hommes recherchés par des femmes occidentales vieillissantes, la drogue, la misère. L'auteure en fait un portrait au vitriol.
Un roman dur, une peinture sociologique de la société de la Barbade qui ne laissent pas indifférent.
Mon évaluation 3,5/5
’ai d’abord été intriguée par le titre de ce roman et j’ai su dès les premières pages qu’il allait me passionner.
Il nous emmène à La Barbade dans les années 80 à la rencontre de Lala (qui ne veut surtout pas être appelée Stella). Son quotidien est fait de pauvreté, de lutte, de courage. Alors qu’elle est sur le point d’accoucher, elle ressent de profondes douleurs et part en catastrophe à la recherche de son époux, Adan. Paniquée, elle sonne au portail d'une riche demeure quand elle entend un coup de feu et voit Adan sortir en courant de la villa…
C’est un premier roman bouleversant qui aborde le thème des violences conjugales sous un angle percutant qui ne peut laisser personne insensible. Le personnage de Lala est vraiment magnifique, plein de grâce et de dignité. Cette histoire ne peut que vous toucher au cœur tant elle est authentique et profonde. La plume de Cherie Jones est également très belle, incisive et poétique à la fois.
C’est une lecture qui m’accompagnera longtemps.
Les grandes lignes de la narration sont assez élémentaires, ce ne sont pas tant elles qui constituent l’intérêt du roman : il faut s’attarder sur les détails, les personnages, qui sont si peu existants sur cette île où le tourisme, principale source de revenus, les rend indésirables et transparents. Lala, Adan, perdus au milieu du couple dysfonctionnel qui est le leur, et qui n’a à vrai dire jamais fonctionné, tous ceux qui gravitent autour de leur présent, de leur passé. Et Mira Whalen, l’autre, qui a eu la chance de croiser les pas d’un homme qui lui a rendu la vie plus facile. Des survivants, de la rue, de la pauvreté, des abus, de l’abandon volontaire ou involontaire. Comment les drames auraient-ils donc pu être évités, dans ces vies si brinquebalantes, ceux qui ont totalement achevé l’équilibre si précaire qui maintenaient encore si délicatement le fil de leur vie. Ces tragédies tranchent à vif, froidement, le mince fil de chaire de ces femmes qui les reliait encore à une vie, même dure et pénible, qui avait un sens. Rien n’a été facile dans la ville de Lala, cette jeune barbadienne, de même que la lecture de ce roman n’a pas été légère, comme plombée par une boule dans le ventre, un nœud dans l’estomac, qui résiste à toute tentative de dénouement. Le titre, fable, est à mon sens une allégorie de la vie de Lala et a priori de nombreuses femmes de l’île qui doivent constamment sinuer entre argent facile, sexisme, abus, et se relever de leurs blessures.
La lecture est presque douloureuse, certes, cela est peut-être le signe que Cherie Jones a touché un point sensible, elle a visé juste, celui d’une vie, qui au-delà des paysages préfabriqués et photoshoppés d’océans d’une clarté bleutée surréaliste, de plages d’une uniformité étincelante, au sable soudé d’un seul bloc, expurgé de la moindre trace d’algue ou de vase verdâtre, certainement moins plaisante à découvrir, mais qui a pour elle la qualité d’être vraie et sans fards. Cherie Jones utilise cette langue barbadienne, à laquelle il faut s’habituer, mais qui ancre encore plus profondément les tragiques existences de Lala et celle de Mira dans le sol boueux de l’île caribéenne, qui étouffe ses habitants, son insularité offrant un paradis aussi fugace qu’irréel aux vacanciers, saisonniers, privant ses habitants d’une porte de sortie accessible. C’est une écriture abrupte, sans fioriture, plutôt saccadée qui se veut être le reflet de cette vie insulaire, des Lalas, toutes aussi dénuées d’agréments : le minimum vital se traduit par une prose minimaliste, désornementée.
La débrouillardise est la clef autant pour ces hommes que ces femmes : l’argent facile n’est qu’une question de survie et les rares tentatives pour gagner chichement sa vie sont bien souvent étouffées dans l’œuf par une sorte d’auto-sabotage. Le contraste entre La Barbade touristique et celle des insulaires est saisissant, et si la première n’est qu’un absurde et grotesque façade à une société ou il manque de tout : les cocotiers perdent tout leur charme et ne deviennent qu’un élément en carton-pâte des drames qui se jouent, à voix basse, en catimini, sur l’île, au delà de ceux qui ne font que passer.
On ne peut rester insensible à Lala, qui dans sa tête de toute jeune femme, n’a connu que de l’amour volé à sa chaire, des abus auréolés d’effluves de tendresse, qui se prend en pleine face cette ‘impasse qui est sa vie à la Barbade, et celle de toutes les autres femmes barbadiennes, natives et cloîtrées sur l’île. Cette mise en parallèle de la vie de Lala et de Mira est plutôt habile, si l’une a réussi à atteindre un meilleur niveau de vie, il n’empêche que la douleur de leur drame respectif est la même. Et que sa résilience ne se vit pas sur la Barbade, terre de tourisme, terre de passage, terre stérile.
Cherie Jones a su donner une autre vision de son île que celles de ces photos lissées, redessinées, recolorées, cartonnées, plastifiées de ces agences de voyage qui se haussent dans le classement de Google, un envers du décor peu reluisant, effrayant, saupoudré de misère et de drogue, rythmé par les coups de cocos, la violence du tourisme sexuel, des abus des époux, pères, grands-pères sur ces filles qui doivent s’inventer des issues de secours. Merci à Cherie Jones d’avoir braqué le projecteur sur elles, le temps d’un roman.
En 1979, alors que son beau-père est mourant, Lala attache peu d’importance à la légende de la fille à un bras que lui conte sa mère pour la dissuader de traîner hors de la maison. Elle aura l’occasion d’y penser quelques années plus tard…
Cinq ans après Lala est mariée pour le meilleur mais surtout pour le pire avec Adan, un trafiquant à ses heures, et Lala est à la merci de ses accès subits de colère qui s’accompagnent de coups et de menaces de plus en plus violents. Tous les prétextes sont bons pour faire passer sa hargne sur la jeune femme. Il est pourtant capable de gestes tendres et semble profondément ému par la présence de leur petite fille, même s’il n’a pas daigné se déplacer un mois plus tôt pour sa naissance, laissant Lala rejoindre l’hôpital à pied.
Un soir en présence de leur ami Tone, une altercation du jeune couple tourne au drame…
Si le lieutenant Beckles en charge des enquêtes sur l’île de la Barbade est rapidement mis à l’écart de l’affaire du meurtre d’un homme âgé dans sa maison voisine de celle d’Adan, enquête confiée à Scotland Yard, il tente de comprendre ce qui s’est passé ce fameux soir où un enfant a été enlevé.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un polar, puisque que l’on assiste en direct à ce qui arrive et seul le policier est dans l’ignorance . Le suspense, c’est de savoir si Adan paiera pour ses forfaits.
Au delà de cet exposé des drames et de la violence, Cherie Jones dresse le portrait de trois générations de femmes, dont le destin s’accomplit au bon vouloir de la malédiction qui plane sur leurs vies. Elles ont tour à tour fait face à une violence extrême d’autant plus perverse qu’elle a mis à mal leur capacité d’être mère, et de protéger leurs enfants.
Le récit est poignant et terriblement addictif. On se sent solidaire avec Lala et on comprend parfaitement les mécanismes qui l’empêchent de fuir : l’amour, la dépendance mais aussi cet éternel espoir que cette raclée sera la dernière.
C’est un roman d’une grande force, qui éveille de nombreuses émotions, de la peur à la colère en passant par une profonde empathie pour le personnage principal.
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