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Peut-on décider de tout quitter sur un coup de tête, de partir de chez soi sans se retourner, de laisser femme et enfants, sans remords ni regrets ?
D’autres auteurs ont répondu à cette question avant Pierre Demarty. C’est un sujet classique. Mais, je n’en connais aucun qui ait choisi comme lieu d’exil de son personnage un appartement situé dans la même ville, dans la même rue, au même étage : l’appartement d’en face… C’est avec un plaisir jamais démenti que j’ai partagé un moment de vie avec notre fuyard : Jean Nochez, monsieur tout-le-monde qui déconstruit sa vie - banale - pour cet univers parallèle, situé de l’autre côté de la rue. Il faut admettre qu’il ne se passe pas grand chose dans la vie de Jean Nochez. C’est d’ailleurs le postulat de départ. Mais après tout, ce n’est pas grave. Car c’est la fuite en elle-même, si proche et immobile, qui importe pour le narrateur, un ami lointain du personnage dont on ne saura rien.
Le plaisir de lecture est dû en grande partie au style irréprochable de l’auteur, qui s'amuse avec les mots et la longueur des phrases aussi bien qu’il joue à changer de registre de langue d’une ligne à l’autre. Pierre Demarty écrit bien. On le devine cultivé et brillant. Je crois que son talent m’aurait fait accrocher à l’histoire qu’il raconte, qu’elle que fût.
J’aurais aimé, vraiment, n’avoir que de belles choses à dire sur ce premier roman de Pierre Demarty, éditeur et traducteur de littérature anglaise. On y sent un réel travail d’écriture fruit d’une réflexion sur la littérature et sur le personnage de roman. L’histoire d’un homme qu’il baptise Jean Nochez et qui décide de quitter sa femme et ses enfants et de louer un appartement en face de chez eux, il la raconte avec un humour subtil et distancié qui le rattache à l’école, pour faire vite, des Editions de Minuit post-Echenoz (Toussaint, Ravey, Laurrent, Oster, Gailly, Chevillard, etc.). En fait, c’est un narrateur, troublé par ce drôle d’individu sans qu’il sache précisément pourquoi, qui tente, en empruntant de nombreuses voies détournées, d’en cerner la personnalité quelque peu énigmatique. Pourquoi, par exemple, achète-t-il, à Paimpol «sur une espèce de brocante sauvage», la maquette d’une goélette qu’il installe dans son appartement nu, la meublant progressivement?
D’abord intrigué par ce personnage, j’ai fini par m’en détourner. Il y a en effet un côté forcé, voire artificiel, dans les apartés comiques, dans la multiplication des éléments saugrenus qui bâtissent la trame, dans le style, surtout, avec son lot d’effets (répétitions de mots, clins d’œil au lecteur, digressions langagières, etc. etc.), qui finit par lasser. Pierre Demarty est certainement un écrivain mais peut-être doit-il acquérir une voix plus personnelle et mieux calibrée.