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«Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l'oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches.» Chaque carnet possède des pages légèrement lignées, s'ouvre par une citation extraite de l'oeuvre dont il est le reflet, signée du nom de l'auteur, et se clôt par un rappel de l'histoire de la collection blanche.
Elle a dit NON !
Il faut tout le talent de Carole Marinez pour envoûter une lectrice athée comme je le suis avec cette histoire où la foi a une place prédominance et des rituels décrits avec précisions.
Dernière décennie du XIIe siècle, Esclaremonde, jeune fille de quinze ans, a dit Non le jour de sa noce devant son promis, son père et toute l’assemblée venue pour l’occasion.
« Mais, de mon désir, nul ne se souciait.
Qui se serait égaré à questionner une jeune femme, fût-elle princesse, sur son vouloir ?
Paroles de femme n’étaient alors que babillages. Désirs de femme, dangereux caprices à balayer d’un mot, d’un coup de verge. »
Son père qui l’a élevée seul, en a fait un joyau pour ce jour où il la donnerait à Lothaire de Monfaucon.
En échange de ce non, la jeune fille dit qu’elle s’emmurera jusqu’à la fin de ses jours.
Il faudra deux années pour qu’une cellule soit construite, jumelée à la chapelle du château. Le matin de son emmurement, elle sort seule pour respirer une dernière fois cette odeur de la terre particulière à l’heure où la rosée exhale toutes les senteurs. Elle sera violée.
Seule, Jehanne, sa sœur de lait connaîtra l’infamie qui la frappe.
De sa fenestrelle , le monde vient à elle. Son histoire est connue, les pèlerins arrivent et lui disent les évènements, elle les accueille, les conseille et les absous…
« Je n’avais jamais tant reçu, tant parlé, du temps où, vivante, je devais garder la chambre, broder, chanter et obéir à mon père. Tous ces êtres en mouvement venaient voir l’immobile et la vie passait devant moi, qui pourtant l’avait quittée. »
Emmurée vivante dans un tombeau et être libre, plus libre que jamais, mais la limite c’est l’enfant du viol, qu’elle met seule au monde, et cet amour maternel qui la submerge, et qui sera plus fort que sa foi.
Pour certains, cet enfant est celui du miracle, il est même baptisé par l’archevêque.
Son pouvoir s’affirme, cette jeune femme a une idée précise du monde, elle envoie son père participer aux croisades.
Son promis, Lothaire de Montfaucon, de soudard se transforme en trouvère, il sera là pour elle jusqu’au bout.
Entre religion, guerre et amour, cette histoire moyenâgeuse envoûte ses lecteurs.
Depuis son emmurement, il n’y a pas eu un seul mort, aucune famine, ce qui fait que pour les uns Esclaremonde est une sainte et pour les autres une sorcière.
L’écriture de Carole Martinez est splendide comme ces broderies médiévales, tout est là sous les yeux, en nuances mais aussi sans édulcorer la violence de l’époque, la finesse se dispute avec la puissance. C’est un chant.
L’art de la description à son sommet, dans une scène de guerre :
« C’était étrange toute cette maigreur associée à une puissance ancienne, une force recouvrée en l’espace d’un instant.[…] L’homme avait repris sa place sur le dos de la bête, dans un accord parfait qui les glorifiait tous les deux, et, comme vertébré par le souvenir de ce qu’il avait un jour été, le couple formidable est parti au triple galop, droit sur les lignes ennemies.[…] Cheval et homme se sont lancés ensemble dans la mort. »
Le temps d’une lecture que j’aie savourée, j’étais au Moyen Age, emmurée et libre.
La volupté de l’écriture enveloppe la noirceur du propos.
Il me semble que l’auteur veut nous dire qu’il ne faut pas effacer le mystère, tout n’est pas rationnel et ne doit pas s’expliquer à tout prix.
Le lecteur se laisse captiver car l’histoire est belle et soutenue par une langue dont le vocabulaire épouse l’époque à merveille.
La musicalité est tout entière dans la magie et le réalisme des scènes.
La magie opère, le temps s’arrête, le lecteur entre en contemplation, il est là oreille tendue vers la voix de l’héroïne, le murmure des pierres est prégnant, il tremble sans savoir pourquoi.
Du domaine des murmures le temps ne s’est pas figé, il a pris sa juste place, déployer ses ailes, il vous a recouvert de sa puissance.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/08/21/du-domaine-des-murmures/
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